Cover
立即免费开始 partie 2.docx
Summary
# L’école des Annales et la révolution historiographique
Voici une synthèse sur l'école des Annales et la révolution historiographique.
## 1. L'école des Annales et la révolution historiographique
L'école des Annales a initié une profonde rupture avec l'histoire traditionnelle, ouvrant la discipline aux sciences sociales pour une compréhension plus globale des sociétés humaines.
### 1.1 La naissance de la revue et son contexte
* **Fondation et Objectifs:** La revue *Annales d'histoire économique et sociale* a été créée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre. Elle visait à proposer une nouvelle approche de l'histoire, s'éloignant des récits centrés sur la politique et les grands hommes, pour embrasser des sujets plus larges touchant à l'économie, la société et le quotidien.
* **Contexte Historique:** La naissance de la revue s'inscrit dans un contexte de crise économique (chômage, déflation) et dans l'après-Première Guerre mondiale. Bloch et Febvre, tous deux anciens combattants, aspiraient à un discours historique pacificateur et moins nationaliste.
### 1.2 Rupture avec l'histoire traditionnelle
#### 1.2.1 Le rejet des "idoles" positivistes
* **Critique de l'histoire positiviste:** Les fondateurs des Annales s'opposaient à l'histoire événementielle, centrée sur les dates et les grands personnages. Ils dénonçaient notamment l'approche positiviste incarnée par des méthodes comme celles exposées par Langlois et Seignobos.
* **L'historien "problémiste":** Bloch et Febvre ont promu une histoire qui formule des questions et des hypothèses avant d'aller chercher des réponses dans les archives, à l'inverse d'une simple compilation de faits.
#### 1.2.2 L'influence de la sociologie et des sciences sociales
* **La remise en cause de l'hégémonie de l'histoire:** À la fin du 19ème siècle, la sociologie, notamment sous l'impulsion d'Émile Durkheim, a commencé à contester la primauté de l'histoire.
* **Les "trois idoles" dénoncées par Simiand:** François Simiand, influencé par Durkheim, a critiqué dans un article de 1903 les "idoles" de l'histoire traditionnelle : l'idole de l'individu (l'obsession des grands hommes), l'idole chronologique (l'obsession des dates) et une troisième idole non explicitée dans le texte. Il reprochait à l'histoire de se focaliser sur le fortuit, tandis que la sociologie privilégiait le récurent et le stable.
* **La "physique sociale" de Durkheim:** Durkheim concevait la sociologie comme une "physique sociale" capable d'appliquer des méthodes des sciences naturelles à l'étude des faits sociaux, considérés comme des "choses". Il insistait sur le fait que la société est plus que la somme de ses individus et que des forces sociales et économiques déterminent les comportements.
* **L'ouverture interdisciplinaire:** Les historiens des Annales ont cherché à intégrer les méthodes et les problématiques d'autres disciplines comme la géographie, la psychologie, la sociologie et l'économie, reconnaissant la nécessité d'une approche transdisciplinaire.
### 1.3 Un nouveau rapport au temps et au présent
#### 1.3.1 L'imbrication du présent et du passé
* **Comprendre le présent par le passé, et le passé par le présent:** Bloch affirmait que "l'incompréhension du présent naît fatalement de l'ignorance du passé". Les Annales ont voulu éclairer le présent par le passé, mais aussi utiliser les questionnements du présent pour mieux appréhender le passé.
* **L'histoire comme "science des hommes dans le temps":** Pour Marc Bloch, l'histoire n'est pas seulement une étude du passé, mais une science qui vise à comprendre l'homme dans sa temporalité.
* **La "généalogie du présent":** Lucien Febvre soulignait qu'il n'y a pas de "cloison étanche" entre le passé et le présent, et que la connaissance précise des faits contemporains est essentielle pour comprendre le passé. L'histoire permet de montrer la généalogie du présent et les discontinuités temporelles.
#### 1.3.2 Le rôle de l'expérience présente dans l'analyse historique
* **L'expérience du front et *Les rois thaumaturges*:** Marc Bloch a utilisé son expérience de la guerre pour analyser la croyance collective dans le pouvoir guérisseur des rois. Il a vu dans la circulation des rumeurs sur le front un phénomène de psychologie sociale, l'amenant à comprendre comment les croyances collectives prennent forme.
* **L'histoire du présent nourrit la compréhension du passé:** La compréhension des dynamiques actuelles (comme la circulation des rumeurs en temps de guerre) a aidé Bloch à saisir les mécanismes psychologiques à l'œuvre dans des époques antérieures.
#### 1.3.3 Le danger de l'anachronisme
* **L'anachronisme psychologique:** Lucien Febvre a identifié l'"anachronisme psychologique" comme le "péché mortel de l'historien". Il s'agit d'appliquer à une époque passée des mentalités, des valeurs ou des concepts qui lui sont étrangers.
* **S'immerger dans la période étudiée:** Pour éviter l'anachronisme, il est crucial de se dépouiller de ses propres cadres de pensée du 21ème siècle et de chercher à comprendre le monde tel qu'il était perçu par les hommes et femmes des époques étudiées.
* **Exemple de Rabelais:** Juger Rabelais comme le premier athée relève de l'anachronisme psychologique, car l'athéisme au sens moderne n'existait pas comme catégorie mentale à son époque.
* **La différence des temps:** Il faut saisir la différence entre les modes de vie et de perception du monde. Les hommes du passé, plus proches de la terre et d'un univers poly sensoriel, avaient un rapport au monde différent du nôtre.
* **Retrouver l'étrangeté du passé:** L'objectif est de rendre au passé sa propre altérité, de ne pas l'écraser sous le poids de nos représentations actuelles.
### 1.4 L'histoire comme science sociale
* **Ouverture aux disciplines voisines:** L'histoire des Annales se veut ouverte aux autres disciplines (psychologie, géographie, sociologie, économie). Elle cherche à comprendre les phénomènes humains dans leur complexité en mobilisant des outils variés.
* **Formation transdisciplinaire des fondateurs:** Bloch et Febvre ont bénéficié d'une formation et d'échanges avec des spécialistes de différentes disciplines, notamment à l'université de Strasbourg, où ils ont découvert la pensée allemande (Max Weber) et la sociologie (Maurice Halbwachs).
* **Alliance entre histoire et géographie:** L'étude des paysages et de leur formation, comme dans les travaux sur les paysages ruraux français, a souligné l'importance de la géographie pour comprendre l'histoire des civilisations agraires. La géographie ne détermine pas de manière absolue, mais offre un éventail de possibilités auxquelles les sociétés répondent.
* **Psychologie et histoire:** L'intérêt pour l'histoire des mentalités s'est accompagné d'une exploration de la psychologie collective (rumeurs, croyances) et individuelle. L'analyse des croyances, de la psychologie des personnages clés, et des émotions a permis d'éclairer les mentalités de différentes époques.
* **La psyché humaine et les fonds culturels:** Bloch a souligné que si l'homme a changé dans son esprit, il existe un fond culturel commun qui permet de comprendre les hommes et femmes du passé. Les mentalités et sensibilités médiévales, par exemple, étaient différentes, plus émotives, accordant une place importante aux rêves et aux imaginaires.
* **La question de l'anachronisme des réponses:** Si le présent interroge continuellement le passé, il faut refuser l'anachronisme dans les réponses apportées par l'historien.
> **Tip:** La force de l'école des Annales réside dans sa volonté de décloisonner l'histoire et de dialoguer avec les autres sciences humaines, offrant ainsi des perspectives d'analyse renouvelées. L'attention portée à l'anachronisme est cruciale pour une compréhension authentique du passé.
---
# La deuxième génération des Annales et l’histoire sociale « à la française »
Ce segment retrace l'évolution de l'École des Annales avec l'émergence de figures marquantes comme Fernand Braudel, l'institutionnalisation de la recherche collective et le développement de l'histoire économique et sociale, ainsi que les critiques et les évolutions qui ont suivi.
### 2.1 L'institutionnalisation de la recherche et l'essor de l'histoire économique et sociale
#### 2.1.1 Fernand Braudel et la longue durée
Après la Seconde Guerre mondiale, la revue *Annales d'histoire économique et sociale* change de nom pour devenir *Annales, économies, sociétés, civilisations* en 1946, réaffirmant son ambition d'être un carrefour des sciences sociales. Fernand Braudel, élève de Lucien Febvre, devient une figure centrale qui contribue au rayonnement international de l'école.
Braudel, souvent qualifié de « bâtisseur d’empire », dirige de nombreuses institutions, notamment l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), qui ont servi au rayonnement historiographique français. Dans les années 1950 et 1960, la recherche connaît une mutation vers un travail plus collectif, s'éloignant de l'approche individuelle.
**Le maître livre : *La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l'époque de Philippe II***
La thèse de Braudel, divisée en trois tomes, est un ouvrage fondateur qui met en avant des concepts clés :
* **Première partie : "Quasi immobile" (ou "L'histoire immobile")**
* Met l'accent sur la **longue durée**, une histoire quasi immuable, voire imperceptible, qui inclut les structures géographiques, climatiques et les cycles lents.
* L'espace est considéré comme un élément majeur d'explication, influençant les cultures et les sociétés (par exemple, la montagne favorisant le conservatisme culturel).
* Braudel identifie deux bassins méditerranéens, oriental et occidental, unis par leurs cultures (vins) et leurs paysages.
* **Deuxième partie : "L'histoire lente"**
* Se concentre sur l'histoire au niveau des générations, généralisant l'histoire sociale et économique.
* Étudie les sociétés, les milieux sociaux et les civilisations, adoptant une approche pluridisciplinaire.
* **Troisième partie : "Histoire traditionnelle" (ou "Le jeu des événements")**
* Aborde l'histoire à hauteur d'individu, plus politique et événementielle, décrite comme une « histoire d’agitation en surface, de souffle court ».
* Braudel la considère comme moins scientifique car trop liée au politique.
Cette division en trois temps (l'événement, la conjoncture, la longue durée) reflète la volonté de scientifiser l'histoire en privilégiant le temps long, perçu comme plus stable et donc plus objectif.
> **Tip:** Braudel, influencé par le structuralisme, notamment par Claude Lévi-Strauss, cherchait à saisir les structures profondes qui façonnent les sociétés sur de longues périodes, tout en reconnaissant le rôle des événements dans le temps court.
#### 2.1.2 Civilisation matérielle, économie et capitalisme
Dans les années 1960 et 1970, Braudel poursuit son œuvre avec la publication de *Civilisation matérielle, économie et capitalisme* (1967 et 1979), qui dépeint la violence de l'expansion économique européenne à l'échelle mondiale.
* **Volume 1 : "Les structures du quotidien"**
* Décrit la « civilisation matérielle » : routines paysannes, outils, marchés, nourriture, logement, univers urbain, monnaie.
* Illustre les limites étroites imposées par les ressources énergétiques, la lenteur des déplacements et de l'information.
* Introduit l'histoire de la vie quotidienne dans des sociétés anciennes.
* **Volume 2 : "Les jeux de l'échange"**
* Examine le passage du troc à un capitalisme sophistiqué.
* Se penche sur les « économies-monde », définies comme des portions de la planète économiquement autonomes, capables de se suffire à elles-mêmes et dotées d'une unité organique par leurs liaisons intérieures.
* **Volume 3 : "Le temps du monde"**
* Quitte la longue durée pour explorer des dynamiques plus rapides : flux et dominations à l'échelle internationale.
* Analyse la concurrence entre l'Europe capitaliste et l'Extrême-Orient, ainsi que le rôle croissant des grandes places européennes (Venise, Anvers, Genève, Amsterdam, Londres).
* Souligne l'émergence de l'économie nationale et les inégalités engendrées par la révolution industrielle.
> **Tip:** Braudel se distingue de Marx par son refus d'un sens prédéterminé de l'histoire et privilégie les explications géographiques, minimisant les facteurs culturels et religieux. Son approche, bien que quantitative dans ses élèves, est moins statistique dans ses propres écrits, préférant des analyses structurelles.
#### 2.1.3 Le succès du modèle Labroussien
Ernest Labrousse, historien spécialisé du XVIIIe siècle, a marqué l'histoire économique et sociale avec son approche quantitative des prix et des cycles économiques.
* Son ouvrage *La crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution* a profondément influencé les historiens pendant quarante ans.
* Influencé par le marxisme, Labrousse a lié la Révolution française à la crise du prix du pain et aux conjonctures économiques qui affectent la vie populaire.
* Il a développé une méthode d'analyse en trois temps, distinguant la course de la lenteur, inspirant des thèses régionales basées sur des données quantitatives.
> **Example:** Ernest Labrousse a popularisé l'idée que les fluctuations du prix du pain étaient un facteur déterminant dans le déclenchement de la Révolution française, montrant comment les contraintes économiques influencent les changements sociaux et politiques majeurs.
Michel Vovelle et Alain Corbin, influencés par Labrousse, ont élargi le champ de la recherche, mais leur travail a progressivement remis en question le modèle purement quantitatif, en s'intéressant davantage aux attitudes mentales et aux dimensions culturelles. Michelle Perrot, sous la direction de Labrousse, a par la suite adopté une approche plus anthropologique, remettant en cause la stricte application de son modèle.
#### 2.1.4 L'essor de la démographie historique
Parallèlement, la démographie historique s'est développée grâce à des figures comme Louis Henry.
* Cette discipline vise à étudier les populations, y compris les anonymes, dans une perspective d'histoire sociale.
* Elle permet des analyses quantitatives sur la mortalité, la natalité, et les liens entre ces phénomènes et les conditions économiques (par exemple, l'augmentation du taux de céréales corrélée à la mortalité).
* Des historiens comme Emmanuel Leroy Ladurie et Georges Duby ont intégré des données démographiques dans leurs travaux régionaux.
### 2.2 Critiques, succès et tournants de l'histoire sociale
#### 2.2.1 Critiques de l'œuvre de Braudel
L'ouvrage de Braudel a été salué comme une « histoire totale », mais a également fait l'objet de critiques :
* Une approche jugée trop déterministe, regardant l'histoire « d'en haut ».
* Une sous-estimation de l'histoire des mentalités et des systèmes de valeurs.
* Un manque de considération pour les frontières religieuses et culturelles.
* L'histoire de Braudel a parfois été qualifiée d'« histoire sans les hommes », privilégiant les structures aux acteurs individuels.
Jacques Le Goff a souligné que Braudel avait potentiellement déformé l'héritage de Bloch et Febvre, au risque de faire perdre à l'histoire sa spécificité. Michel Foucault a également critiqué l'approche braudélienne pour son manque de questionnement des sources et des catégories utilisées.
#### 2.2.2 La troisième génération des Annales et la « nouvelle histoire »
La troisième génération des Annales, incarnée par des figures comme Jacques Le Goff, Emmanuel Leroy Ladurie, et François Furet, a marqué un tournant vers la « nouvelle histoire ».
* Ce courant s'est détaché de l'ambition d'une « histoire totale » et a montré un intérêt accru pour la politique, les sensibilités et l'altérité du passé.
* Les historiens de cette génération ont exploré de nouveaux objets de recherche, tels que l'histoire de la famille, de l'enfant, des mentalités, et des émotions.
> **Tip:** La « nouvelle histoire » a cherché à renouveler les objets et les méthodes de recherche, s'ouvrant davantage aux apports de la psychologie, de la psychanalyse et de la sociologie.
#### 2.2.3 La redécouverte de l'histoire des mentalités et le tournant anthropologique
Inspirés par les travaux pionniers de Marc Bloch et Lucien Febvre, les historiens de la troisième génération ont réinvesti l'étude des mentalités, des croyances et des représentations.
* **Philippe Ariès** a joué un rôle majeur dans le développement de l'histoire de la famille, de l'enfant et des mentalités, avec des ouvrages célèbres comme *L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime*. Il a mis en lumière une progressive prise de conscience de l'enfance et une évolution du rapport à la mort, passant d'une mort « apprivoisée » à une mort « invisible » et taboue.
* **Jean-Louis Flandrin** a ouvert de nouveaux champs de recherche sur l'histoire du sexe et de la famille.
* **Alphonse Dupront** a étudié les mythes de croisade et le sacré.
* **Jean Delumeau** s'est penché sur les peurs collectives en Occident, notamment après la Peste noire.
* **Emmanuel Leroy Ladurie**, continuateur de Braudel, s'est intéressé aux mentalités paysannes et aux phénomènes de société collective, comme dans *Le Carnaval de Romans*, montrant comment des événements apparemment économiques pouvaient révéler des psychodrames sociaux.
La troisième génération a également marqué un **tournant anthropologique**, se libérant progressivement d'un schéma purement marxiste pour s'inspirer des méthodes et des problématiques de l'anthropologie. Cela a conduit à un intérêt pour :
* Les mythes, les rites, les gestes.
* Le corps, la sexualité, la parenté.
* Les croyances collectives.
Jacques Le Goff, avec *Naissance du purgatoire*, a analysé une révolution mentale et sociale dans le Moyen Âge central. Georges Duby, dans *Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme*, a exploré la tripartition de la société médiévale.
> **Example:** L'étude du concept de "purgatoire" par Jacques Le Goff illustre comment l'anthropologie historique peut révéler l'évolution des représentations et des croyances collectives au sein d'une société.
#### 2.2.4 La remise en question et la diversification de l'historiographie
Malgré ces développements, le concept de mentalité a été critiqué pour son ambiguïté et le risque d'appliquer une vision monolithique à une société.
* **Michel de Certeau** a souligné l'importance de l'appropriation des œuvres par les lecteurs et de la subjectivité dans la lecture du passé.
* Alain Corbin a souligné la nécessité de se concentrer sur l'expérience vécue des individus, comme dans *Le monde retrouvé de Louis François Pinagot*.
La domination de l'histoire économique et sociale de Braudel a commencé à s'éroder au profit d'une histoire plus proche des acteurs et d'une approche plus anthropologique. Le tournant critique, marqué par le déclin du marxisme et l'effacement du politique comme principal structurant, a remis en cause les approches globales.
> **Tip:** Le tournant critique a cherché à retrouver les acteurs sociaux et leur liberté au sein des sciences sociales, en s'intéressant davantage aux vécus et aux expériences individuelles.
#### 2.2.5 L'essor de la nouvelle histoire culturelle et de l'histoire globale
Dans les années 1990 et 2000, l'histoire culturelle a connu un renouveau, s'intéressant à la production intellectuelle, artistique, et aux expériences culturelles (histoire de la guerre, histoire des crimes). Cette approche s'est mondialisée.
Parallèlement, l'**histoire globale** ou **connectée** a émergé, cherchant à décentrer la mondialisation de l'Europe.
* Sanjay Subrahmanyam a promu une « histoire monde » cherchant à dépasser la micro-histoire et à adopter une perspective mondiale.
* Patrick Boucheron propose une « histoire mondiale de la France » pour retrouver des échelles vastes.
* Romain Bertrand, dans *L'histoire à part égale*, plaide pour considérer les sources occidentales et locales sur un pied d'égalité, prônant une histoire symétrique exigeante en maîtrise linguistique.
Aujourd'hui, l'historiographie se caractérise par un mouvement de créativité et une diversification des objets et des approches, témoignant de la vitalité et de la constante évolution de la discipline.
---
# La troisième génération des Annales et la « nouvelle histoire »
Cette partie explore les transformations de l’école des Annales, marquées par un tournant vers l’anthropologie historique, l’histoire des mentalités, et l’élargissement des objets d’étude vers des sujets comme la famille, le sexe et la peur.
### 3.1 Le passage à la « nouvelle histoire »
La troisième génération des Annales voit émerger des figures comme Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie et François Furet. Cette génération prend ses distances avec le projet d'une « histoire totale » et se concentre sur de nouveaux objets de recherche.
#### 3.1.1 L'ouverture vers de nouveaux objets d'étude
Les historiens de cette génération s'intéressent à l'altérité, aux sensibilités du passé, et à des sujets jusque-là négligés par l'histoire économique et sociale.
* **L'histoire des mentalités et des sensibilités :** Reprenant les intuitions de Marc Bloch et Lucien Febvre, cette génération redécouvre l'histoire des mentalités.
* **Philippe Ariès :** Un historien emblématique de cette tendance, célèbre pour ses travaux sur l'histoire de la famille, de l'enfant et des mentalités. Son ouvrage « L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime » a mis en lumière la notion d'« indifférence de l'enfant » avant le XVIIe siècle. Il a également exploré « L'homme devant la mort », analysant l'évolution de la perception de la mort, passant d'une « mort apprivoisée » à une « mort invisible » et taboue.
* **Jean-Louis Flandrin :** A contribué à l'émergence d'un nouveau champ de recherche avec des ouvrages sur « Le sexe et l'Occident » et « Un temps pour embrasser ».
* **Alphonse Dupront :** S'est penché sur l'histoire religieuse innovante, étudiant les « Mythes de croisade » et le sacré à travers les croisades et les pèlerinages.
* **La psychologie historique :** Robert Mandrou a tenté de développer la psychologie historique, s'intéressant notamment à la sorcellerie et à la perception des magistrats face à celle-ci. Jean Delumeau, grand historien du christianisme, a exploré « La peur en Occident », analysant les peurs collectives depuis la Peste noire.
* **L'histoire du corps, des émotions et de la sexualité :** Des thèmes comme la peur, la violence extrême, les mythes, les rites, les gestes, le corps, la sexualité, l'affiliation et la parenté deviennent des objets d'étude majeurs.
* **Jean-Claude Schmitt :** S'intéresse aux croyances collectives et à la perpétuation des pratiques anciennes à travers les gestes, comme dans son ouvrage « Le saint Lévrier ».
* **Emmanuel Le Roy Ladurie :** Poursuivant les travaux de Braudel, il s'intéresse aux phénomènes de société collective, comme dans « Le Carnaval de Romans », analysant les psychodrames et la violence extrême, montrant ainsi que ces phénomènes résistent à une explication purement économique et sociale.
* **L'importance de l'imaginaire :** Jacques Le Goff et Georges Duby ont mis en avant la notion d'« imaginaire ».
* **Jacques Le Goff :** Dans « Naissance du purgatoire », il analyse la création du concept de purgatoire au Moyen Âge comme une révolution mentale et sociale. Son ouvrage « L'imaginaire médiéval » propose une histoire de troisième niveau, s'appuyant sur les représentations collectives.
* **Georges Duby :** Dans « Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme », il explore la tripartition de la société médiévale (ceux qui prient, qui combattent, qui travaillent) comme une construction imaginaire.
* **L'histoire culturelle et anthropologique :** La troisième génération des Annales se tourne vers l'anthropologie, marquant un tournant anthropologique dans l'historiographie.
* **« Nouvelle histoire » :** Ce mouvement affiche l'ambition d'appliquer une nouvelle manière de faire l'histoire, marquée par l'influence des sciences sociales comme la psychanalyse et la sociologie.
* **Histoire culturelle :** De nouveaux champs comme l'histoire des livres, du cinéma, de la guerre (expériences dans les tranchées), et des crimes fascine. L'histoire culturelle devient une approche mondiale, intégrant des aspects intellectuels et esthétiques.
* **L'histoire environnementale :** Émergente dans les années 2000/2010, elle vise à réécrire l'histoire d'un point de vue environnemental.
* **L'histoire globale, mondiale et connectée :** Influencée par la mondialisation, cette approche cherche à décentrer l'histoire de l'Europe. Sanjay Subrahmanyam, avec « Pour une histoire monde », milite pour une histoire qui ne soit pas centrée sur l'Occident. Patrick Boucheron propose une « Histoire mondiale de la France », cherchant des échelles d'analyse plus vastes. Romain Bertrand, dans « L'histoire à part égale », prône une approche symétrique des sources occidentales et locales.
#### 3.1.2 Les critiques et les remises en question
Malgré ses succès, cette nouvelle histoire fait l'objet de critiques.
* **La critique du concept de mentalités :** Le concept de mentalités, bien qu'assurant une large audience aux Annales, est jugé ambigu. Il est reproché de trop enfermer les mentalités d'une époque et d'appliquer une vision unique à l'ensemble d'une société. Geoffrey Ernest Richard Lloyd, par exemple, plaide pour « en finir avec les mentalités ».
* **La remise en cause de l'histoire totale :** François Doz, dans « L'histoire en miettes », dénonce la fragmentation de la discipline par la troisième génération, qui s'éloignerait de l'ambition d'une histoire globale.
* **Le tournant critique :** La chute du mur de Berlin et la fin de l'URSS marquent une période d'incertitudes et un « tournant critique ». Il s'agit d'une remise en cause du caractère structurant du politique et d'une réorientation vers le vécu et les expériences individuelles. La revue des Annales lance deux numéros sur ce thème.
* **La recherche de l'acteur social :** Il y a une volonté de retrouver les acteurs sociaux, leur liberté et leur rôle dans les sciences sociales et l'histoire, notamment l'histoire des « sans voix ». Michel Foucault, avec « Histoire de la folie » et « La vie d'homme infame », ainsi qu'Arlette Farge, cherchant à redonner la voix au petit peuple parisien, illustrent cette tendance.
* **L'isolement de l'historiographie française :** Dans les années 1970, tandis que l'historiographie évolue dans d'autres pays (micro-histoire en Italie, histoire de la vie quotidienne en Allemagne, étude de la classe ouvrière en Angleterre), la France semble plus isolée. Cependant, avec le « tournant critique », elle tente de retrouver une ambition de globaliser l'histoire, bien que cela se révèle un échec.
> **Tip :** La troisième génération des Annales a marqué un profond renouvellement de la discipline historique en élargissant ses objets d'étude vers des domaines tels que la famille, le sexe, la peur, et l'imaginaire. Ce tournant vers l'anthropologie historique et l'histoire des mentalités a enrichi notre compréhension du passé, tout en soulevant des débats et des critiques quant à la fragmentation de l'histoire et la portée de certains concepts.
> **Example :** L'étude d'Emmanuel Le Roy Ladurie sur le Carnaval de Romans illustre parfaitement le passage à une histoire plus anthropologique. Plutôt que de se focaliser uniquement sur les causes économiques ou sociales d'une révolte paysanne, il analyse les manifestations de violence extrême, les comportements collectifs et les dimensions psychologiques, montrant ainsi la complexité des phénomènes historiques.
---
# Le tournant critique et l’histoire globale
Ce chapitre analyse la remise en question de la discipline historique, le recul du marxisme, l’émergence de l’histoire culturelle, et la tendance vers une histoire globale et connectée, décentrée de l’Europe.
### 4.1 La crise de l'histoire totale et l'émergence de nouvelles approches
Les années 1970 et 1980 marquent un tournant dans l'historiographie française. La remise en cause de "l'histoire totale" portée par des figures comme Fernand Braudel conduit à une fragmentation des sujets de recherche et à une perte d'ambition globalisante, comme le souligne Gérard Noiriel dans son ouvrage "Sur la 'crise' de l'histoire". La revue *Les Annales* lance des numéros spéciaux intitulés "Le tournant critique", signalant une approche renouvelée axée sur le vécu individuel et les expériences passées, moins sur des schémas macro-économiques ou sociaux déterministes.
#### 4.1.1 Le recul du marxisme et la montée de l'histoire culturelle
La chute du Mur de Berlin et la fin de l'URSS en 1989 marquent un déclin significatif de l'influence du marxisme dans l'historiographie. Parallèlement, une nouvelle vague d'histoire culturelle prend son essor, portée par des champs de recherche variés tels que l'histoire des livres, du cinéma, et plus largement, de la production intellectuelle et artistique. Cette nouvelle histoire culturelle s'intéresse notamment aux expériences vécues, comme en témoigne l'histoire culturelle de la guerre à travers les témoignages des soldats dans les tranchées, ou l'attrait pour les faits divers et les crimes, tels que ceux liés à Jack l'Éventreur à la fin du XIXe siècle.
#### 4.1.2 La tendance vers une histoire globale et connectée
La mondialisation a engendré une nouvelle approche historiographique : l'histoire globale, mondiale ou connectée. Sanjay Subrahmanyam est l'un des premiers à théoriser l'"histoire connectée", dont l'objectif est de décentrer la narration de la mondialisation de l'Europe. Cette approche réagit en partie à la "micro histoire" qui avait privilégié le local, et vise à établir des liens et des interactions à vaste échelle. Des ouvrages comme "Histoire mondiale de la France" de Patrick Boucheron ou "L'histoire à part égale" de Romain Bertrand proposent de considérer les sources occidentales et locales sur un pied d'égalité, favorisant une histoire symétrique et décentrée. Pour mener à bien cette histoire exigeante, la maîtrise de plusieurs langues devient indispensable.
##### 4.1.2.1 Les nouvelles orientations de recherche
L'histoire culturelle s'est diversifiée, abordant des thèmes comme l'histoire de la guerre, des crimes, du cinéma, de la musique, etc. Au début des années 2000, l'histoire environnementale émerge, axée sur la prise de conscience écologique et la réécriture du passé à travers le prisme de l'environnement. Des manuels et des ouvrages collectifs, tels que "La nature en révolution" de Julien Vincent, Thomas Le Roux, Corinne Marache, François Jarrige et Jean-Baptiste Fressoz, illustrent cette nouvelle orientation.
> **Tip:** L'histoire globale et connectée représente une évolution majeure, cherchant à dépasser les perspectives européocentriques pour saisir la complexité des interactions à l'échelle planétaire.
##### 4.1.2.2 Les apports de l'anthropologie
La troisième génération des *Annales*, souvent qualifiée de "nouvelle histoire", manifeste une attirance croissante pour l'anthropologie. Ce tournant anthropologique, partagé par les historiens et les anthropologues, a ouvert de nouveaux objets de recherche : mythes, rites, gestes, corps, sexualité, affiliation, parenté, croyances collectives. Des figures comme Jean-Claude Schmitt, avec des travaux sur les légendes ouvrières, ou Emmanuel Leroy Ladurie, dans "Montaillou, village occitan", illustrent cette approche. Cette dillatation du territoire historien a élargi les champs d'investigation à des domaines comme la peur, la mort, l'inconscient, les relations de parenté ou encore l'enfance.
> **Example:** La notion d'"imaginaire", définie par Michel de Certeau comme l'ensemble des représentations, images, symboles et croyances qu'un individu ou une société se fait du monde, est devenue centrale dans cette histoire culturelle et anthropologique. Des travaux sur la naissance du purgatoire par Jacques Le Goff, ou sur les trois ordres de l'imaginaire féodal par Georges Duby, en sont des illustrations marquantes.
En résumé, le tournant critique et l'avènement de l'histoire globale marquent une redéfinition profonde de la discipline historique, s'éloignant des récits centrés sur l'Europe et le marxisme pour embrasser une complexité méthodologique et thématique accrue, favorisant une compréhension plus nuancée et interconnectée du passé.
---
## Erreurs courantes à éviter
- Révisez tous les sujets en profondeur avant les examens
- Portez attention aux formules et définitions clés
- Pratiquez avec les exemples fournis dans chaque section
- Ne mémorisez pas sans comprendre les concepts sous-jacents
Glossary
| Term | Definition |
|------|------------|
| École des Annales | Courant historiographique français fondé par Marc Bloch et Lucien Febvre, caractérisé par une approche interdisciplinaire et l'étude des structures sociales et économiques sur le long terme. |
| Histoire problème | Approche historiographique qui pose des questions au passé plutôt que de simplement le décrire, impliquant une hypothèse de recherche de la part de l'historien. |
| Anachronisme psychologique | Erreur commise par un historien lorsqu'il projette ses propres sentiments, pensées ou modes de vie contemporains sur des individus du passé, ne tenant pas compte de leurs propres cadres mentaux. |
| Histoire des mentalités | Branche de l'histoire qui étudie les façons de penser, les croyances, les émotions et les attitudes collectives d'une époque ou d'un groupe social, souvent sur de longues périodes. |
| Durée longue (longue durée) | Concept historiographique, particulièrement associé à Fernand Braudel, qui désigne les structures sociales, économiques ou géographiques qui évoluent très lentement sur de longues périodes, contrastant avec les événements de courte durée. |
| Civilisation matérielle | Ensemble des aspects concrets et quotidiens de la vie d'une société, incluant l'alimentation, le logement, les vêtements, les outils, les techniques et les modes de production. |
| Économie-monde | Unité géographique et économique autonome à l'échelle planétaire, capable de se suffire à elle-même et unifiée par ses échanges intérieurs, selon la définition de Fernand Braudel. |
| Démographie historique | Discipline qui étudie l'évolution des populations dans le temps, en utilisant des sources variées pour analyser la mortalité, la natalité, les migrations, et la structure par âge et par sexe. |
| Microhistoire | Approche historiographique qui se concentre sur des événements, des lieux ou des individus très spécifiques pour, par l'étude approfondie du local, comprendre des phénomènes plus généraux ou des aspects de la condition humaine. |
| Histoire globale (ou histoire-monde) | Courant historiographique qui vise à étudier les phénomènes à une échelle planétaire, en mettant l'accent sur les interactions, les connexions et les interdépendances entre différentes régions du monde, décentrant ainsi la perspective européenne. |
| Idole individuelle | Critique adressée par François Simiand à l'historiographie traditionnelle, désignant l'obsession des "grands hommes" et des biographies individuelles au détriment de l'étude des structures et des phénomènes collectifs. |
| Idole chronologique | Critique adressée par François Simiand à l'historiographie traditionnelle, dénonçant une focalisation excessive sur les dates et la succession temporelle des événements, sans analyse des causalités profondes ou des permanences. |
| Idole positive | Critique adressée par François Simiand à l'historiographie traditionnelle, suggérant une approche passive et descriptive des faits historiques, en opposition à une démarche scientifique qui cherche à expliquer les phénomènes. |