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# L'historiographie médiévale renouvelée par Marc Bloch et Jacques Le Goff
Voici une synthèse sur l'historiographie médiévale renouvelée par Marc Bloch et Jacques Le Goff.
## 1. L'historiographie médiévale renouvelée par Marc Bloch et Jacques Le Goff
Marc Bloch et Jacques Le Goff ont révolutionné l'étude du Moyen Âge en déplaçant le focus de l'histoire événementielle vers celle des mentalités, du rapport au temps, de l'imaginaire et de l'expérience vécue des sociétés médiévales.
### 1.1 Marc Bloch : l'histoire comme science de l'humain
Marc Bloch (1886-1944), cofondateur de la *Revue des Annales*, a défendu une conception de l'histoire comme science humaine, cherchant à comprendre les hommes du passé dans leurs comportements, émotions et systèmes de croyances. Sa célèbre formule issue de l'*Apologie pour l'histoire* résume cette approche : "le bon historien ressemble à l’ogre de la légende : là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier". L'objet d'étude n'est pas l'événement en soi, mais ce qu'il révèle de profond dans la mentalité collective.
#### 1.1.1 L'exemple des Rois thaumaturges
Dans *Les Rois thaumaturges* (1924), Bloch ne cherche pas à prouver la véracité du pouvoir de guérison des rois, mais à comprendre la croyance en ce pouvoir. Cette croyance révèle le rapport au sacré, à la royauté et au pouvoir dans les sociétés médiévales, ouvrant ainsi la voie à l'histoire des mentalités.
### 1.2 Jacques Le Goff : l'anthropologie historique et l'imaginaire médiéval
Jacques Le Goff (1924-2014), héritier de Bloch, a enrichi cette démarche par un apport anthropologique, s'inspirant notamment de Claude Lévi-Strauss et de sa méthode structuraliste. Il propose d'étudier les sociétés médiévales à travers leurs représentations mentales, leur imaginaire et leur vision du monde, cherchant à comprendre non seulement ce qu'ils faisaient, mais aussi ce qu'ils pensaient et ressentaient.
#### 1.2.1 L'étude des mentalités médiévales
L'histoire des mentalités, pour Le Goff, englobe l'ensemble des croyances, émotions, valeurs, peurs et structures symboliques qui organisent l'existence collective. Cette approche s'applique à ses études sur le temps, la mort, l'au-delà, les saints et figures comme Saint Louis.
### 1.3 Le rapport au temps au Moyen Âge : une conception non moderne
Le Goff a particulièrement analysé le rapport au temps au Moyen Âge, le décrivant comme radicalement différent de la conception moderne.
#### 1.3.1 Un temps vécu et lié aux rythmes naturels
Pour les médiévaux, le temps n'est pas homogène et mesurable de manière précise. Il est avant tout un temps vécu, étroitement lié aux rythmes naturels : saisons, cycles agraires, fêtes religieuses. La vie quotidienne, le travail, et même le droit (les crimes nocturnes étant plus sévèrement punis) sont rythmés par ces cycles. Les instruments de mesure du temps (sabliers, cadrans solaires, clepsydres, chandelles graduées) témoignent d'une précision limitée, loin du temps mécanique moderne.
#### 1.3.2 La structuration chrétienne du temps : une histoire linéaire
La conception chrétienne du temps est linéaire, avec un commencement (la Création) et une fin (le Jugement dernier). L'histoire est divisée en six âges, correspondant aux âges de la vie humaine. Les contemporains du Moyen Âge se percevaient comme vivant dans le sixième âge, celui de la décrépitude du monde, alimentant une vision pessimiste du présent.
#### 1.3.3 La naissance du temps marchand : laïcisation et innovation
À partir du XIIe siècle, l'essor économique et démographique en Europe occidentale transforme le rapport au temps. Les villes voient apparaître des cloches laïques marquant le temps de travail, introduisant un temps économique distinct du temps religieux. Cela suscite un conflit idéologique : pour les théologiens, le temps appartient à Dieu et l'usure est condamnée. Les marchands, eux, mesurent, comptent et rentabilisent le temps, annonçant une société plus laïque et économique.
### 1.4 La naissance du Purgatoire : un nouveau rapport à l'au-delà
L'ouvrage *La naissance du Purgatoire* (1981) de Le Goff démontre que le Purgatoire, loin d'être un concept éternel, apparaît à la fin du XIIe siècle et devient un dogme reconnu en 1274. Il introduit l'idée d'un temps intermédiaire pour la purification de l'âme, un temps modulable par les actions humaines (pèlerinages, prières, aumônes, indulgences). C'est une révolution dans l'imaginaire chrétien, offrant un espace et un temps où l'action humaine peut intervenir dans l'au-delà.
### 1.5 L'apport de Lévi-Strauss : lire les structures de l’imaginaire
Bien que non historien, Claude Lévi-Strauss, par son analyse structurale de l'anthropologie, influence profondément Le Goff. L'étude de la forêt de Brocéliande par Le Goff illustre comment un espace naturel peut être chargé de significations sociales et symboliques (chasse aristocratique, refuge des ermites, lieu de légendes), révélant ainsi les mentalités médiévales.
### 1.6 Jean-Claude Schmitt : l’hagiographie et les mentalités
Jean-Claude Schmitt, élève de Le Goff, a approfondi l'anthropologie historique par l'étude de l'hagiographie (vies de saints). Ces textes sont analysés non comme des récits factuels, mais comme des reflets des aspirations, peurs et représentations des sociétés médiévales, révélant la frontière entre le monde visible et invisible, les valeurs morales et les attentes populaires.
### 1.7 Penser le Moyen Âge comme un « long Moyen Âge »
Le Goff a défendu l'idée d'un "long Moyen Âge" s'étendant au-delà du XVe siècle, jusqu'à l'époque moderne. Cette notion souligne la persistance des structures mentales, religieuses et sociales médiévales. Son analyse de Saint Louis dans *Saint Louis* montre comment une figure royale devient un mythe culturel bien après son époque.
> **Tip:** L'œuvre de Marc Bloch et Jacques Le Goff a marqué un tournant majeur en considérant le Moyen Âge non seulement comme une période historique, mais comme un ensemble complexe de structures mentales, de croyances et d'expériences humaines profondes, nécessitant une approche interdisciplinaire.
> **Exemple:** L'étude de la croyance en la guérison par les rois (Bloch) ou la conceptualisation du Purgatoire (Le Goff) illustrent parfaitement comment des phénomènes apparemment périphériques révèlent les fondements de la société médiévale.
### 1.8 L'élargissement du champ d'étude : archéologie et histoire globale
Les apports de Gabrielle Démians d’Archimbaud et de François-Xavier Fauvelle, ainsi que la perspective de Marie Favereau, ont continué ce renouvellement en intégrant de nouvelles sources et perspectives.
#### 1.8.1 Gabrielle Démians d’Archimbaud et l'archéologie médiévale
Gabrielle Démians d’Archimbaud a montré que l'archéologie médiévale, étudiant la culture matérielle (objets, habitats, structures agricoles), est une source historique essentielle, révélant les pratiques quotidiennes, les rapports sociaux et les mentalités des populations non élitaires, souvent absentes des textes. Elle a plaidé pour un croisement systématique des sources archéologiques et écrites.
#### 1.8.2 François-Xavier Fauvelle et le « Moyen Âge africain »
François-Xavier Fauvelle a proposé le concept de "Moyen Âge africain" (VIIIe-XVe siècles) pour interroger l'application de chrononymes européens à d'autres aires géographiques. Il souligne le déséquilibre des sources (souvent externes) et l'importance de l'archéologie pour rééquilibrer la documentation. Il met en avant la "connectivité" de ces sociétés africaines aux réseaux d'échange, notamment ceux du monde islamique.
#### 1.8.3 Marie Favereau et le « Global Middle Ages »
Marie Favereau, spécialiste de l'Empire mongol, promeut l'"histoire globale" appliquée au Moyen Âge. Elle étudie l'Empire mongol comme un empire mondial reliant l'Europe, le Moyen-Orient, l'Asie centrale et la Chine, insistant sur la pluralité des sources (non-occidentales incluses) et la logique de circulation des richesses plutôt que leur accumulation.
#### 1.8.4 Patrick Boucheron et la pensée du politique
Patrick Boucheron s'intéresse aux formes de pouvoir au Moyen Âge, notamment à travers l'urbanisme et la politique édilitaire (Milan, XIVe-XVe siècles), la force des images (fresque du Bon Gouvernement à Sienne) et la politique de la mémoire (la trace et l'aura d'Ambroise de Milan). Il montre comment les pouvoirs manifestent leur légitimité et leur pérennité.
En conclusion, l'œuvre de Marc Bloch et Jacques Le Goff a initié un profond renouvellement de l'historiographie médiévale, en ouvrant la discipline à l'étude des mentalités, de l'imaginaire et des structures profondes de la société. Ce mouvement a été ensuite prolongé par des approches intégrant l'archéologie, l'histoire globale et une relecture critique des sources, offrant une vision plus complexe et humaine du Moyen Âge.
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# L'archéologie médiévale et l'histoire globale
Voici une synthèse détaillée et complète sur l'archéologie médiévale et l'histoire globale, rédigée en français, prête pour un examen.
## 2. L'archéologie médiévale et l'histoire globale
Cette section explore comment l'intégration de l'archéologie par Gabrielle Démians d'Archimbaud et l'application de l'histoire globale par Marie Favereau ont révolutionné l'étude du Moyen Âge, en particulier à travers l'exemple de l'Empire mongol.
### 2.1 L'apport de Gabrielle Démians d'Archimbaud à l'archéologie médiévale
Gabrielle Démians d'Archimbaud (née en 1922) est une figure clé du renouveau de l'archéologie médiévale. Elle a fondamentalement transformé la compréhension du Moyen Âge en démontrant que l'archéologie est une source historique aussi précieuse que les textes. Son travail s'inscrit dans le mouvement de l'histoire sociale et des mentalités du XXe siècle, en apportant une spécificité essentielle : l'étude des sociétés médiévales à travers leur culture matérielle.
#### 2.1.1 Formation et démarche critique
Formée dans un contexte historiographique en pleine mutation et marquée par l'héritage de l'école des Annales, Démians d'Archimbaud s'est spécialisée dans un domaine longtemps marginalisé : l'archéologie médiévale. Traditionnellement, l'étude du Moyen Âge reposait presque exclusivement sur des sources écrites, souvent produites par les élites (clercs, pouvoirs politiques), laissant ainsi dans l'ombre une grande partie de la population. Sa démarche était donc intrinsèquement critique : comment écrire une histoire globale des sociétés médiévales, incluant les groupes sociaux sous-représentés dans les textes ?
#### 2.1.2 La culture matérielle comme clé de lecture sociale
Le cœur de la pensée de Démians d'Archimbaud réside dans l'idée que la culture matérielle est révélatrice de l'organisation sociale, économique et mentale d'une société. Les objets, les habitats, les structures agricoles, les outils et les traces de consommation ne sont pas de simples vestiges techniques ; ils sont des faits sociaux porteurs de sens. L'archéologie, selon elle, permet d'étudier :
* Les pratiques quotidiennes.
* Les rapports sociaux.
* Les inégalités.
* Les mentalités à travers les usages concrets.
Cette approche la rapproche de l'histoire sociale et de l'anthropologie.
#### 2.1.3 Travaux et terrains : le Moyen Âge vécu
Ses recherches se sont concentrées sur les habitats médiévaux, les villages, les structures rurales et la vie quotidienne des populations non aristocratiques. Elle s'est attachée à comprendre comment les hommes et les femmes du Moyen Âge habitaient, travaillaient, consommaient et organisaient leur espace. Par l'étude des sols, des bâtiments et des objets, elle a reconstitué les logiques sociales (hiérarchies, spécialisations, dépendances économiques), offrant ainsi une histoire "par le bas", celle des paysans et des artisans.
#### 2.1.4 Méthodologie : le croisement des sources
Un apport majeur de Démians d'Archimbaud est méthodologique : elle a insisté sur la nécessité de croiser systématiquement les sources archéologiques, écrites et environnementales. Elle réfutait l'idée que l'archéologie ne servait qu'à illustrer les textes. Au contraire, elle a démontré que l'archéologie pouvait contredire, compléter ou nuancer les sources écrites, s'inscrivant ainsi dans la lignée de l'histoire totale prônée par les Annales.
#### 2.1.5 Oppositions et ruptures
Elle s'est opposée à une histoire exclusivement textuelle et élitiste, ainsi qu'à une archéologie purement descriptive. Elle a critiqué une historiographie négligeant les populations rurales, les pratiques quotidiennes et les structures matérielles de la vie sociale.
#### 2.1.6 Apports historiographiques
Ses contributions sont fondamentales : elle a intégré l'archéologie à l'écriture de l'histoire médiévale, renouvelé l'histoire sociale et permis une meilleure compréhension des sociétés médiévales "par le bas", donnant une voix aux groupes peu visibles dans les textes. Son œuvre contribue à une histoire plus complète, humaine et concrète du Moyen Âge.
### 2.2 L'histoire globale et le Moyen Âge
Le concept d'histoire globale appliqué au Moyen Âge, souvent désigné par l'expression "Global Middle Ages", représente un tournant historiographique majeur. Il vise à dépasser les cadres nationaux et civilisationnels pour étudier la période médiévale dans sa dimension mondiale.
#### 2.2.1 Des origines de la World History au "Global Middle Ages"
L'histoire globale trouve ses racines dans le courant de la "World History", développé à partir des années 1990 dans un contexte de mondialisation accrue. Ce courant cherche à analyser les phénomènes historiques à l'échelle mondiale, en se concentrant sur les circulations, les connexions et les échanges (économiques, culturels, politiques), plutôt que sur les récits nationaux cloisonnés. L'émergence de revues spécialisées a marqué l'institutionnalisation de ce champ de recherche. L'idée de "Global Middle Ages" applique cette perspective à la période médiévale, la considérant non plus comme une histoire européenne, mais comme une époque profondément interconnectée à l'échelle eurasienne et africaine.
#### 2.2.2 L'Histoire du monde au XVe siècle : une application concrète
L'ouvrage collectif *L'Histoire du monde au XVe siècle*, dirigé par Patrick Boucheron et publié en 2009, est emblématique de cette approche. Il propose une vision du XVe siècle non comme une "fin" traditionnelle, mais comme un moment de coexistence de mondes connectés. Il met en lumière les circulations intenses (hommes, marchandises, techniques, idées, croyances) qui caractérisaient cette période. L'Empire mongol y est présenté comme un acteur central de ces connexions.
#### 2.2.3 L'Empire mongol : un objet d'histoire globale
Marie Favereau, historienne spécialiste de l'Empire mongol, fait de cet empire le cœur même de l'analyse globale. Elle l'étudie comme un empire politique qui a durablement relié l'Europe, le Moyen-Orient, l'Asie centrale et la Chine. Les caractéristiques de l'Empire mongol comprennent :
* Une extension territoriale sans précédent.
* Une grande diversité linguistique, culturelle et religieuse.
* Une organisation impériale fondée sur la circulation.
L'adoption de l'écriture ouïghoure pour l'administration et le centre de gravité de l'empire en Asie orientale (Pékin/Khanbalik) soulignent sa dimension transcontinentale.
#### 2.2.4 Les sources : un empire vu par le monde
Un apport majeur de Favereau est sa mobilisation de sources non occidentales, souvent négligées par l'historiographie européenne. Elle utilise des sources en russe, balte, polonais, persan, arabe et chinois, en complément des récits occidentaux comme celui de Marco Polo. Cette approche multiperspective permet d'éviter une vision exclusivement européenne et de saisir la complexité de l'empire.
#### 2.2.5 L'Empire mongol face aux historiographies nationales
Favereau met en évidence le défi que représente l'Empire mongol pour les historiographies nationales, notamment chinoise. La tendance actuelle à intégrer les dynasties mongoles (Yuan) dans un récit national chinois tend à absorber cet empire transcontinental dans une histoire exclusivement locale. L'historiographie contemporaine, dont celle de Favereau, cherche au contraire à souligner le caractère pan-continental de l'Empire mongol, rompant avec cette appropriation nationale.
#### 2.2.6 Idéologie impériale mongole : circulation et richesse
L'idéologie impériale mongole, loin d'être axée sur l'accumulation de richesses, repose sur une logique de circulation. Les tributs collectés devaient être remis en circulation pour produire de la prospérité. Le khan encourageait le commerce en prêtant de l'argent aux marchands, car la richesse n'avait de valeur que si elle circulait. Cette conception est également liée à des croyances religieuses favorisant la redistribution. L'Empire mongol a ainsi contribué à l'intensification des réseaux commerciaux eurasien.
#### 2.2.7 Conclusion sur Marie Favereau
Le travail de Marie Favereau est essentiel pour comprendre le Moyen Âge comme une période profondément globale. L'Empire mongol, loin d'être une simple périphérie, était un centre majeur. En mobilisant des sources multilingues et en dépassant les cadres nationaux, elle contribue à une histoire connectée et transnationale, attentive aux circulations et aux interactions, illustrant le passage de la World History aux Global Middle Ages.
### 2.3 L'archéologie médiévale au cœur de l'histoire globale
Le travail de Gabrielle Démians d'Archimbaud sur l'archéologie médiévale et celui de Marie Favereau sur l'histoire globale, particulièrement à travers l'Empire mongol, se rejoignent dans leur capacité à offrir une vision plus complète et interconnectée du passé.
#### 2.3.1 L'archéologie comme rééquilibrage documentaire
Dans le contexte de l'étude de régions comme l'Afrique médiévale, abordée par François-Xavier Fauvelle, l'archéologie joue un rôle crucial. Pour des sociétés où la production écrite interne est rare ou inexistante, l'archéologie permet de "rééquilibrer le régime documentaire", c'est-à-dire de compléter les sources externes (récits de voyageurs, par exemple) par des données matérielles comparables. Les découvertes archéologiques, comme celles de Mapungubwe avec le rhinocéros d'or, révèlent des contacts commerciaux et des structures sociales qui ne transparaissent pas dans les textes.
#### 2.3.2 Connectivité et histoire globale
La notion de connectivité est centrale pour définir des périodes historiques au-delà des cadres européens. Fauvelle utilise cette idée pour caractériser le "Moyen Âge africain" (VIIIe-XVe siècles) par la participation de ces sociétés aux réseaux d'échange du monde islamique, un aspect qui sera bouleversé par l'expansion portugaise au XVe siècle. De même, Favereau souligne que la connectivité est ce qui définit l'Empire mongol comme un empire global, reliant diverses régions à travers les échanges commerciaux (or, esclaves) et culturels.
#### 2.3.3 Écrire une histoire discontinue et fragmentaire
L'étude de ces "Moyens Âges" non européens, tout comme l'archéologie médiévale, mène à une histoire qui n'est pas une fresque continue mais plutôt un "vitrail", où chaque fragment (monument, texte, découverte archéologique) est juxtaposé pour progressivement dessiner une image. Les sources sont souvent hétérogènes et disparates, nécessitant une approche qui reconnaît cette discontinuité.
#### 2.3.4 Les sociétés non monothéistes et la culture matérielle
L'étude des sociétés non monothéistes pose un défi documentaire particulier, car on les connaît souvent uniquement à travers le discours de leurs adversaires (chrétiens, musulmans). L'approche archéologique devient alors essentielle pour caractériser ces sociétés par leur culture matérielle, comme dans le cas de la culture Chai en Éthiopie. La céramique particulière de cette culture et les structures funéraires révèlent des pratiques non monothéistes, fournissant des informations précieuses au-delà des récits historiques.
#### 2.3.5 La permanence du passé : trace et aura
Enfin, le concept de "trace et aura" de Walter Benjamin, analysé par Patrick Boucheron dans le contexte de la politique de la mémoire, peut être appliqué à l'étude de l'archéologie et de l'histoire globale. Comprendre le passé implique de partir de la "trace" matérielle (vestiges archéologiques, documents) pour essayer de dissiper l'"aura" – le charisme ou l'autorité naturelle – de figures ou de récits historiques. L'archéologie médiévale et l'histoire globale, en explorant la culture matérielle et les interconnectivités, s'efforcent de reconstituer une histoire plus concrète et moins dépendante des discours dominants.
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# Le Moyen Âge africain et la remise en question de l'eurocentrisme
Cette section explore la proposition d'un "Moyen Âge africain" par François-Xavier Fauvelle, soulignant le rôle crucial de l'archéologie et de la connectivité dans la compréhension des sociétés africaines, et critiquant la vision eurocentrée de l'histoire.
### 3.1 François-Xavier Fauvelle : une nouvelle perspective sur l'histoire africaine
François-Xavier Fauvelle, né en 1968, est un historien médiéviste qui a profondément renouvelé la compréhension de l'histoire africaine. Son approche se caractérise par son caractère interdisciplinaire, intégrant particulièrement l'archéologie, essentielle pour l'étude de l'histoire africaine. Il a été élu professeur au Collège de France sur une chaire d'histoire et d'archéologie des mondes africains en 2018, marquant une reconnaissance institutionnelle de l'importance croissante de ce domaine de recherche.
#### 3.1.1 Ouvrages et contributions
Parmi ses ouvrages majeurs figurent *Les masques et la mosquée*, consacré au Mali médiéval, et *L'Afrique ancienne* (2018), une synthèse qui propose une nouvelle périodisation de l'histoire africaine. Fauvelle suggère de diviser cette histoire en deux grandes périodes : l'Afrique ancienne, de -20 000 avant notre ère jusqu'au XVIIe siècle, et l'Afrique moderne, intrinsèquement liée à la colonisation. Son ouvrage *Le Rhinocéros d'or* met en lumière des aspects méconnus du Moyen Âge africain.
#### 3.1.2 L'institutionnalisation de l'histoire africaine
L'élection de Fauvelle au Collège de France sur une chaire dédiée aux mondes africains est un signal fort. Elle témoigne de l'importance croissante des études d'histoire africaine en tant que sous-champs de recherche et de leur intégration nécessaire à l'histoire générale des sociétés. Cette reconnaissance institutionnelle garantit une visibilité et une indépendance académique accrues pour la recherche en histoire africaine.
### 3.2 La critique de l'eurocentrisme et le concept de "Moyen Âge africain"
#### 3.2.1 La critique de l'eurocentrisme par Jack Goody
L'anthropologue Jack Goody (1919-2015) a joué un rôle crucial dans la critique de l'eurocentrisme historique dans son ouvrage *Le vol de l'histoire*. Il y analyse comment l'entreprise coloniale européenne a imposé le récit de son propre passé au reste du monde, le présentant comme l'apport de la "modernité" (scientifique, politique, morale) et de la "civilisation" aux autres sociétés. Cette vision impose une périodisation et une interprétation eurocentrées, ignorant les manières dont les sociétés non européennes pensent leur propre histoire. La notion même de "guerre mondiale" est, selon Goody, une construction qui centre le récit sur l'expérience européenne.
#### 3.2.2 La proposition d'un "Moyen Âge africain"
François-Xavier Fauvelle, en proposant la notion de "Moyen Âge africain", interroge l'application de découpages chronologiques pensés pour l'Europe à d'autres contextes géographiques. Le Moyen Âge est un chrononyme forgé pour l'histoire européenne. L'extension de ce concept à l'Afrique soulève la question de la légitimité et des risques de cette comparaison. Bien que Fauvelle ait, dans son ouvrage *L'Afrique ancienne*, proposé une autre périodisation (Afrique ancienne de -20 000 ans au XVIIe siècle), il justifie l'usage de bornes chronologiques similaires au Moyen Âge européen (VIIIe-XVe siècles) par un "régime documentaire" spécifique.
> **Tip:** Le terme "chrononyme" désigne un nom de période historique, comme "Moyen Âge", "Renaissance", ou "XXe siècle".
### 3.3 Le régime documentaire du Moyen Âge africain
Le "régime documentaire" fait référence à la nature des sources disponibles et aux modes de circulation de l'information dans une société donnée. Pour le Moyen Âge africain (VIIIe-XVe siècles), Fauvelle identifie plusieurs caractéristiques :
#### 3.3.1 Déséquilibre entre sources externes et internes
Dans la plupart des sociétés africaines au sud du Sahara entre le VIIIe et le XVe siècle, la production écrite interne est rare, à l'exception notable de l'Éthiopie. La documentation écrite dont nous disposons provient donc majoritairement de sources externes, telles que les récits de voyageurs arabes, puis européens (géographes, marchands, missionnaires). Ce déséquilibre crée un regard extérieur sur ces sociétés.
#### 3.3.2 Rareté de l'écrit interne
Bien que rare, l'écrit interne n'est pas totalement absent. Cependant, sa rareté contribue à la difficulté de reconstituer l'histoire de ces périodes uniquement à partir de ces sources.
#### 3.3.3 Hétérogénéité des témoignages
Fauvelle souligne l'"hétérogénéité des témoins du passé". Il est difficile de comparer les sociétés africaines entre elles sur la seule base des sources écrites, qui sont souvent lacunaires et proviennent de perspectives extérieures.
> **Tip:** Un "régime documentaire" peut être compris comme l'ensemble des caractéristiques et de la typologie des sources disponibles pour étudier une période ou une société donnée.
### 3.4 L'archéologie comme rééquilibrage du régime documentaire
L'archéologie joue un rôle fondamental pour rééquilibrer le régime documentaire en Afrique médiévale.
#### 3.4.1 La production de données comparables
Contrairement aux sources écrites, l'archéologie produit des données matérielles qui peuvent être comparées entre différentes régions et sociétés. Elle permet de révéler des aspects de sociétés dont on ne sait rien autrement, rendant indispensables les fouilles archéologiques.
#### 3.4.2 Exemple : le rhinocéros d'or de Mapungubwe
La découverte du rhinocéros d'or sur la colline de Mapungubwe (actuellement en Afrique du Sud) illustre parfaitement la richesse de l'archéologie. Cette tombe élitaire, datant d'une société hiérarchisée, a révélé des objets en or et des représentations de rhinocéros plaquées d'or. La présence d'objets d'origine sud-est asiatique et de perles de verre indiennes atteste de contacts commerciaux anciens avec ces régions via les réseaux du monde islamique, démontrant une connectivité au-delà des sources écrites.
### 3.5 La connectivité : clé de définition du Moyen Âge africain
Pour Fauvelle, ce qui définit le Moyen Âge africain (VIIIe-XVe siècles) est la "connectivité".
#### 3.5.1 Participation aux réseaux d'échange
Les régions africaines, diverses par leur géographie et leur peuplement, partagent durant cette période leur connexion aux réseaux d'échange, particulièrement ceux du monde islamique. Ces sociétés participent activement à ces échanges, exportant de l'or et des esclaves et important des marchandises comme les chevaux et le sel.
#### 3.5.2 L'agentivité des sociétés africaines
Ces sociétés ne sont pas de simples réceptacles passifs du commerce extérieur ; elles font preuve d'"agentivité", c'est-à-dire d'une capacité d'action sur leur propre vie et leur histoire. Elles jouent un rôle actif dans les relations commerciales.
#### 3.5.3 Un changement de régime de connectivité au XVe siècle
Le régime de connectivité change au XVe siècle avec l'expansion portugaise et l'exploration des côtes africaines, qui bouleversent les circuits commerciaux établis, notamment le commerce transsaharien qui se développe dès le VIIIe siècle.
### 3.6 Découvrir de nouvelles choses : histoire, enquête orale et archéologie
La redécouverte de sites médiévaux africains témoigne de la possibilité de produire de nouvelles connaissances grâce à la combinaison de différentes approches.
#### 3.6.1 La redécouverte de l'Ifat en Éthiopie
En s'appuyant sur des sources externes, comme le récit du géographe arabe Abou al-Fida, et sur la tradition orale locale, une équipe de chercheurs a réussi à retrouver la ville médiévale d'Ifat en Éthiopie. Les habitants connaissaient l'existence d'une ville abandonnée dans la région, et l'exploration archéologique a permis de confirmer son identité.
#### 3.6.2 L'interruption des mémoires
Fauvelle souligne que la perte de signification de certains sites, ou leur redécouverte fortuite, s'explique par des "interruptions des mémoires". Des changements politiques, des déplacements de population, ou des ruptures culturelles peuvent entraîner l'oubli de l'histoire et de la signification des lieux.
#### 3.6.3 Écrire une histoire discontinue
Face à des sources hétérogènes et disparates, l'écriture d'une histoire discontinue du Moyen Âge africain s'apparente à la construction d'un vitrail : des fragments (monuments, récits, découvertes archéologiques) sont juxtaposés pour former progressivement une image. Le régime de connectivité, notamment avec le monde islamique, constitue un fil conducteur essentiel.
### 3.7 Les sociétés non monothéistes : le défi des sources
L'étude des sociétés non monothéistes (païennes, dans la terminologie de l'époque) pose des défis majeurs en termes de sources.
#### 3.7.1 La connaissance par le discours des adversaires
Ces sociétés sont souvent connues uniquement à travers les écrits de leurs adversaires, chrétiens ou musulmans, qui relatent leurs conversions, souvent forcées. Il est donc difficile de reconstituer leur histoire indépendamment du discours de ceux qui les ont dominées ou assimilées.
#### 3.7.2 Stéréotypes et topoï
Les récits sur les religions non monothéistes sont souvent empreints de stéréotypes et de "topoï" (lieux communs) chrétiens, comme dans l'histoire des arbres sacrés, qui reflète le discours chrétien sur les religions saxonnes à l'époque de Charlemagne.
#### 3.7.3 La culture Chai et l'approche archéologique
Pour caractériser ces sociétés, l'archéologie devient primordiale. La "culture Chai", identifiée par la présence de tumulus (amas de pierres recouvrant des chambres funéraires) et une céramique distinctive (dont une forme de "soucoupe volante"), permet de documenter des pratiques funéraires non monothéistes, notamment des tombes collectives où des individus sont inhumés avec des armes, des parures et des céramiques.
> **Example:** Les tumulus de la culture Chai, avec leurs tombes collectives et la présence d'objets funéraires, fournissent des informations précieuses sur les croyances et les structures sociales des populations qui les ont érigés, sans dépendre de sources écrites potentiellement biaisées.
### 3.8 Le royaume de Damot et la culture Chai : une connaissance renouvelée
Les récits éthiopiens mentionnent le royaume de Damot, mais les sources écrites et archéologiques ne communiquent pas toujours directement. L'archéologie, en étudiant la culture Chai, contribue à produire de nouvelles connaissances sur les interactions entre ces différentes sphères, permettant de mieux comprendre le passé de ces sociétés africaines.
Cette approche, centrée sur l'archéologie, la connectivité et la remise en question des cadres eurocentrés, a permis de proposer une vision plus nuancée et globale du Moyen Âge, incluant activement l'Afrique dans le récit historique mondial.
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# Le politique et le pouvoir à la fin du Moyen Âge
Voici une synthèse détaillée sur "Le politique et le pouvoir à la fin du Moyen Âge", élaborée à partir des documents fournis.
## 4. Le politique et le pouvoir à la fin du Moyen Âge
Ce thème examine comment le pouvoir s'est manifesté à la fin du Moyen Âge, en s'appuyant sur l'urbanisme, l'art, les images et la politique de la mémoire, à travers les travaux de Patrick Boucheron et d'autres historiens.
### 4.1 L'historiographie du renouveau médiéval
Le XXe siècle a vu une profonde transformation dans l'étude du Moyen Âge, initiée par des historiens comme Marc Bloch, Lucien Febvre et Jacques Le Goff, influencés par l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss. Cette nouvelle approche a déplacé l'attention de l'événement vers la mentalité, de la structure politique vers la représentation symbolique, et du temps objectif vers le temps vécu.
#### 4.1.1 Marc Bloch et l'histoire comme science humaine
Marc Bloch, cofondateur de la *Revue des Annales*, a révolutionné l'historiographie en prônant une histoire comprise comme une science humaine. Son œuvre, notamment *Les Rois thaumaturges*, ne se concentre pas sur la factualité des événements mais sur ce qu'ils révèlent des croyances, des peurs et des mentalités collectives. Pour Bloch, le bon historien cherche la "chair humaine" derrière les faits, explorant le rapport au sacré, à la royauté et au pouvoir.
#### 4.1.2 Jacques Le Goff et l'anthropologie historique
Jacques Le Goff, héritier de Bloch, a enrichi cette démarche par l'apport anthropologique, influencé par Lévi-Strauss. Il a exploré les mentalités médiévales, définies comme l'ensemble des croyances, émotions, valeurs, peurs et structures symboliques. Son travail sur le temps médiéval, radicalement différent de la conception moderne, le décrit comme un temps vécu, lié aux rythmes naturels, aux fêtes religieuses et aux cycles agraires. La nuit, par exemple, était perçue comme un temps de danger et de désordre, ce qui pouvait aggraver les peines judiciaires.
##### 4.1.2.1 La structuration chrétienne du temps
La vision chrétienne du temps, linéaire, avec un commencement (Création) et une fin (Jugement dernier), structurait la perception médiévale. Le monde était divisé en six âges, les contemporains se croyant dans le sixième, celui de la décrépitude.
##### 4.1.2.2 La naissance du temps marchand
À partir du XIIe siècle, l'essor économique et démographique a vu l'émergence d'un temps marchand, marqué par des cloches laïques dans les villes pour réguler le travail. Cela a entraîné un conflit idéologique avec la théologie chrétienne, qui considérait le temps comme appartenant à Dieu et condamnait l'usure.
##### 4.1.2.3 L'invention du Purgatoire
Le Purgatoire, apparu à la fin du XIIe siècle, représente une révolution dans l'imaginaire chrétien. Il introduit l'idée d'un temps intermédiaire de purification, modulable par les actions humaines (pèlerinages, prières, indulgences). C'est un espace et un temps où l'action humaine peut intervenir pour le salut des âmes.
#### 4.1.3 Jean-Claude Schmitt et l'hagiographie
Jean-Claude Schmitt, élève de Le Goff, a utilisé l'hagiographie (vies de saints) pour étudier les mentalités médiévales. Ces textes, loin d'être des récits factuels, révèlent les aspirations, les peurs et les représentations de la société, la frontière entre le visible et l'invisible, et les attentes populaires.
#### 4.1.4 Le concept de "long Moyen Âge"
Le Goff a défendu l'idée d'un "long Moyen Âge", s'étendant du IIIe au XVIIIe siècle, soulignant la persistance des structures mentales, religieuses et sociales héritées de l'époque médiévale. Cette perspective permet de recontextualiser des périodes comme la Renaissance, vue comme une continuation des dynamiques médiévales.
### 4.2 L'archéologie et la culture matérielle au Moyen Âge
Gabrielle Démians d’Archimbaud a profondément renouvelé la compréhension du Moyen Âge en affirmant la valeur historique de l'archéologie médiévale. Elle a montré que la culture matérielle (objets, habitats, outils) est une source essentielle pour comprendre l'organisation sociale, économique et mentale des sociétés, en particulier celles des populations non aristocratiques, souvent absentes des sources écrites. Son approche interdisciplinaire insiste sur le croisement des sources archéologiques et écrites.
### 4.3 Le Moyen Âge africain et le tournant global de l'histoire
François-Xavier Fauvelle a proposé le concept de "Moyen Âge africain", interrogeant l'application des découpages historiques européens à d'autres aires géographiques. Il souligne l'importance de l'archéologie et d'une approche interdisciplinaire pour étudier l'histoire africaine. Le "régime documentaire" de cette période (VIIIe-XVe siècles) est caractérisé par la rareté des sources écrites internes et la prédominance de récits extérieurs (voyageurs arabes et européens). L'archéologie permet de rééquilibrer ce régime documentaire. La connectivité aux réseaux d'échange du monde islamique est un facteur clé pour définir ce Moyen Âge africain.
Marie Favereau, quant à elle, a marqué un tournant vers l'"histoire globale" appliquée au Moyen Âge, s'intéressant particulièrement à l'Empire mongol. Elle le considère comme un empire global, un espace politique reliant durablement l'Europe, le Moyen-Orient, l'Asie centrale et la Chine. Son travail, basé sur une multiplicité de sources non occidentales, remet en question les historiographies nationales qui tendent à absorber l'Empire mongol. L'idéologie impériale mongole, fondée sur la circulation et la richesse redistribuée, a favorisé les échanges à grande échelle.
### 4.4 Patrick Boucheron : le pouvoir, l'image et la mémoire
Patrick Boucheron, dans ses travaux, analyse le politique et le pouvoir à travers l'urbanisme, l'art et la politique de la mémoire.
#### 4.4.1 Le pouvoir de bâtir à Milan
Dans *Le pouvoir de bâtir*, Boucheron examine l'urbanisme et la politique édilitaire à Milan aux XIVe-XVe siècles. Il montre comment les ducs de Milan ont utilisé les grands travaux, la construction d'hôpitaux et la décoration urbaine pour asseoir leur pouvoir personnel et familial, contrastant avec les institutions communales qui visaient à empêcher un tel pouvoir. La "magnificence" (mélange de beauté, grandeur et générosité) était un outil politique majeur, employant des ingénieurs comme Léonard de Vinci. L'urbanisme d'intimidation, par des fortifications, visait également à prévenir les révoltes.
#### 4.4.2 Léonard de Vinci et Machiavel
Dans *Léonard et Machiavel*, Boucheron explore la fin du Moyen Âge et le début des Temps modernes à travers la rencontre hypothétique de ces deux figures. Il analyse comment les intellectuels de cette période ont pensé le basculement vers un nouveau monde, marqué par les guerres d'Italie et l'affirmation de nouveaux pouvoirs.
#### 4.4.3 La force des images et le bon gouvernement
Boucheron a étudié la fresque du "Bon Gouvernement" d'Ambrogio Lorenzetti à Sienne (1339). Il y voit la démonstration que la légitimité d'un gouvernement réside dans ses effets bénéfiques sur la cité et son territoire, et non dans son origine. La fresque exalte la prospérité et la beauté de la ville sous le gouvernement des Neuf, tout en avertissant contre la tyrannie comme menace potentielle à la paix civile. L'image devient ainsi un outil politique pour "conjurer la peur".
#### 4.4.4 La trace et l'aura : la politique de la mémoire
Dans *La trace et l'aura*, s'inspirant de Walter Benjamin, Boucheron réfléchit à la politique de la mémoire. Il distingue l'aura (puissance symbolique d'un personnage) de la trace (marque matérielle laissée). L'historien cherche à dissiper l'aura en étudiant les traces matérielles et les "vies posthumes" de figures comme Ambroise de Milan. Cette approche permet de comprendre comment la mémoire d'une figure ou d'un événement est réactivée et réappropriée à travers le temps, comme lors de la création de la République ambrosienne à Milan.
En conclusion, les travaux de ces historiens révèlent la complexité du politique et du pouvoir à la fin du Moyen Âge, mettant en lumière l'importance des mentalités, des représentations, de la culture matérielle, des circulations globales et de la manipulation symbolique des images et de la mémoire.
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## Erreurs courantes à éviter
- Révisez tous les sujets en profondeur avant les examens
- Portez attention aux formules et définitions clés
- Pratiquez avec les exemples fournis dans chaque section
- Ne mémorisez pas sans comprendre les concepts sous-jacents
Glossary
| Term | Definition |
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| Annales (Revue des) | Revue historique fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre, pionnière dans le renouveau de l'historiographie au XXe siècle, mettant l'accent sur l'histoire des mentalités, les structures économiques et sociales sur le long terme. |
| Anthropologie historique | Courant historiographique qui mobilise les concepts et méthodes de l'anthropologie pour étudier les sociétés du passé, en se concentrant sur leurs représentations, leurs croyances et leurs structures mentales. |
| Chrononyme | Terme forgé pour désigner une période historique, comme le "Moyen Âge" ou le "Moyen Âge africain", qui peut être sujet à débat et à redéfinition. |
| Culture matérielle | Ensemble des objets, des habitats et des traces d'activités produites par une société, qui constituent des sources historiques essentielles pour comprendre son organisation sociale, économique et mentale. |
| Hagiographie | Genre littéraire qui relate la vie des saints, souvent utilisé comme source pour comprendre les aspirations, les peurs et les représentations des sociétés médiévales. |
| Histoire événementielle | Approche historiographique qui se concentre sur le récit des événements marquants (politiques, militaires) comme objet principal de l'étude historique. |
| Histoire globale | Approche historiographique qui étudie les phénomènes historiques à l'échelle du monde, en analysant les circulations, les connexions et les échanges transnationaux. |
| Histoire des mentalités | Domaine de recherche historique qui vise à comprendre les pensées, les croyances, les sentiments et les émotions collectives d'une époque donnée. |
| Histoire totale | Ambition de l'histoire d'analyser toutes les dimensions d'une société (économique, sociale, culturelle, politique) à travers un événement, une période ou un individu. |
| Long Moyen Âge | Notion proposée par Jacques Le Goff, suggérant que le Moyen Âge ne se limite pas aux dates traditionnelles mais prolonge ses structures mentales, religieuses et sociales dans les périodes ultérieures. |
| Ordre monastique | Communauté de moines vivant selon une règle et une discipline spécifiques, jouant un rôle important dans la vie religieuse, culturelle et économique du Moyen Âge. |
| Périodisation | Découpage de l'histoire en périodes distinctes, souvent basé sur des événements marquants ou des transformations sociales, économiques ou culturelles. |
| Politique édilitaire | Ensemble des mesures prises par les autorités urbaines (communales, impériales ou royales) pour organiser et gérer l'espace urbain, incluant les grands travaux, l'entretien des infrastructures et la décoration de la ville. |
| Régime documentaire | Ensemble des caractéristiques et de la typologie des sources disponibles pour l'étude d'une société donnée à une période donnée, incluant leur nature, leur origine et leur circulation. |
| Urbanisme | Réflexion théorique et action sur l'organisation de l'espace urbain, visant à répondre à des objectifs spécifiques en matière de fonctionnalité, d'esthétique et de pouvoir. |
| Usure | Prêt d'argent contre intérêt calculé sur la durée, condamné par la théologie chrétienne médiévale car le temps est considéré comme appartenant à Dieu. |