Chapitre I
Summary
# La formation historique et les origines de l'État
Ce thème explore les diverses théories expliquant l'émergence de l'État, en examinant les facteurs socio-économiques, marxistes, culturels, ainsi que les structures pré-étatiques.
### 1.1 Définition et caractéristiques de l'État
L'État est un phénomène historique et relativement contemporain. Il se distingue par l'établissement du monopole légitime de la violence, c'est-à-dire le droit reconnu par la population d'utiliser la force pour maintenir l'ordre social. Les forces de police, par exemple, détiennent cette légitimité pour réguler l'ordre [1](#page=1).
### 1.2 Les sociétés avant l'État
Avant l'émergence de l'État, il existait des sociétés dites pré ou proto-étatiques. Dans ces organisations, le principe d'appartenance était basé sur le parenté plutôt que sur un territoire défini. La propriété privée n'était pas encore établie, et les relations étaient fondées sur les liens familiaux. L'anthropologue Pierre Clastres, spécialiste des sociétés amérindiennes, a étudié les Guayakis et observé que le pouvoir n'y était pas centralisé. Il identifiait un partage du pouvoir entre un chef traditionnel, responsable de la régulation interne, du dialogue et de la distribution des richesses, et un chef de guerre, chargé de la protection contre les menaces extérieures. Ces sociétés sans État se caractérisaient par un refus de la concentration de l'autorité et de l'intégration dans une société marchande [1](#page=1).
### 1.3 Formes d'organisations pré-étatiques ou proto-étatiques
Différentes formes d'organisations ont précédé ou cohabité avec l'État, telles que les empires, les systèmes féodaux et les cités-États. Bien qu'elles aient pu posséder certains attributs de l'État, elles ne disposaient pas de l'ensemble de ses caractéristiques, notamment le monopole de la violence légitime [1](#page=1).
* **Empire:** Manque de frontières définies et difficulté d'affirmation du pouvoir aux périphéries [1](#page=1).
* **Sociétés féodales:** Capacité de contrainte très relative et société fragmentée [1](#page=1).
* **Cités-États:** Absence de monopole de la violence au sein du territoire [1](#page=1).
### 1.4 Problématique de la formation de l'État en Europe
La question centrale est de comprendre comment l'État est apparu en Europe [1](#page=1).
### 1.5 Sociogenèse de l'État : approches théoriques
#### 1.5.1 L'État produit de la modernisation socio-économique
* **L'approche évolutionniste:** Selon cette perspective, le développement de l'État est lié à l'évolution socio-économique des sociétés. Durkheim, dans "De la division du travail social" affirme que "plus les sociétés se développent, plus l'État se développe; ses fonctions deviennent plus nombreuses, pénètrent davantage toutes les autres fonctions sociales qu'il concentre et unifie par cela même" . Avant l'État, les individus ou groupes détenaient l'essentiel du pouvoir de régulation. La multiplication des échanges économiques et la complexification de l'organisation sociale ont rendu nécessaire une division des tâches, favorisant l'émergence de l'État pour faire fonctionner ce système complexe. Cela s'accompagne de l'indépendance de la religion et de la construction d'une société civile axée sur la loi et l'ordre [1](#page=1).
* **L'approche marxiste:** Cette approche voit l'État comme un produit des classes sociales antagonistes dans un contexte de modernisation. L'État est utilisé par la classe dominante pour réprimer les classes prolétariennes et maintenir l'ordre établi. Karl Marx considère les institutions d'État comme des appareils de domination aux mains de la classe dominante, auxquels les prolétaires sont obligés de se soumettre. Les différentes formes d'État sont ainsi analysées à travers les oppositions de classes: socialiste (bourgeois/prolétaire), esclavagiste (maître/esclave), bourgeois (propriétaires des moyens de production/travailleurs), féodal (seigneur/serf ou bourgeois) ] [1](#page=1) [2](#page=2).
* **L'approche culturelle:** Le politiste norvégien Stein Rokkan souligne le rôle crucial de l'Église catholique comme organisation supranationale dans la formation de l'État. L'analyse de l'émergence de l'État dans les pays protestants, où l'influence politique de la religion était directe, suggère une formation plus aisée que dans les pays catholiques comme la France ou l'Espagne. La distance géopolitique par rapport aux sociétés marchandes et la force d'un centre politique fort favorisent l'apparition de l'État, en lien avec les sociétés commerçantes [2](#page=2).
#### 1.5.2 L'État produit des échanges internationaux
Le commerce international et le développement des économies marchandes ont participé à l'essor des États-nations. Immanuel Wallerstein soutient que les États naissent avec l'essor du commerce mondial au XVIe siècle. Le paradoxe réside dans le fait que la nature transnationale et dérégulée de l'économie marchande détermine la formation d'États-nations juridiquement régulés et territorialement limités [2](#page=2).
Il existe un lien entre la division du travail, le capitalisme et l'émergence de l'État. Les États se développent intensément dans des centres où l'industrie et l'agriculture se modernisent (Pays-Bas, Grande-Bretagne, France) . Ces États centraux se construisent sur une périphérie (colonies en Amérique Latine, Afrique) qui renforce leur pouvoir économique, souvent par le recours à l'esclavage. L'Europe périphérique (Italie, Espagne, Scandinavie, Portugal) constitue la semi-périphérie. Les théories sur les échanges expliquent que les États centraux sont forts car ils exploitent les périphéries en contrôlant les échanges maritimes, empêchant ainsi l'autonomie économique des sociétés périphériques [2](#page=2).
#### 1.5.3 L'État produit de sa modernité administrative
Max Weber définit l'État comme "une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès dans l'application des règlements le monopole de la contrainte physique légitime" . L'État se caractérise par la capacité d'un groupe à se faire obéir et par la domination exercée via le monopole de la violence sur un territoire délimité par des frontières [2](#page=2).
Weber identifie trois formes de domination :
* **Charismatique:** Basée sur la représentation que les individus ont d'un individu (ex: chef de guerre) ] [2](#page=2).
* **Traditionnelle:** Fondée sur des éléments culturels [3](#page=3).
* **Légale rationnelle:** Repose sur la capacité à organiser la société via une bureaucratie. La bureaucratie n'est pas péjorative mais constitue un idéal type de travail administratif, essentiel au fonctionnement des grandes entreprises et des États. Elle se caractérise par une hiérarchie administrative, le contrôle de toute autorité, l'application des règles par des fonctionnaires compétents, et l'utilisation de documents écrits. Sans bureaucratie, pas d'État [3](#page=3).
Bertrand Badie et Pierre Birnbaum, dans "Sociologie de l'État", identifient deux critères essentiels au développement de l'État: la résistance des pouvoirs traditionnels et le niveau de développement industriel. Là où le capitalisme est fort, l'État a tendance à être moins puissant. Dans les territoires ayant connu une révolution industrielle tardive, le développement de l'État est plus marqué, celui-ci devenant un acteur majeur du développement économique [3](#page=3).
* **Exemples :**
* La France possède un État fort et centralisateur, dans un contexte économique initialement moins développé [3](#page=3).
* Les États-Unis ont un État faible, avec peu de résistance, mais une économie forte [3](#page=3).
#### 1.5.4 L'État comme produit de la guerre
Selon Charles Tilly, "La structure de l'État apparaît essentiellement comme un produit secondaire des efforts des gouvernants pour acquérir les moyens de la guerre" . Dans son ouvrage "Contrainte et capital dans la formation de l'Europe" il soutient que la guerre est le principal moteur de la création de l'État. Les sociétés s'organisent en États pour être efficaces dans la guerre. Le XVIIIe siècle a vu plus de 50 conflits militaires, et le XIXe siècle plus de 200, démontrant comment l'État se renforce par et dans la guerre [3](#page=3).
La guerre renforce l'État pour plusieurs raisons :
* La guerre nécessite des moyens financiers et administratifs, accélérant le développement des éléments fiscaux et administratifs [3](#page=3).
* Elle favorise l'intégration des élites périphériques pour former une armée unique [3](#page=3).
* L'émergence d'activités civiles de renforcement du pays (infrastructures routières, médecine, etc.) ] [3](#page=3).
* Elle renforce l'identité commune et l'intégration dans la structure étatique [3](#page=3).
* Elle accroît le rôle de l'État dans l'économie nationale (économie de guerre) ] [3](#page=3).
### 1.6 Les formes et types d'État
Les critères de comparaison des États selon Badie et Birnbaum incluent :
* Le degré de centralisation [3](#page=3).
* Le degré de différenciation entre l'État et la société (autonomie par rapport aux structures sociales, à l'église et aux règles coutumières) ] [3](#page=3).
* Le degré de développement d'une administration bureaucratique fortement institutionnalisée et dépatrimonialisée (où une fonction ne peut être achetée) ] [3](#page=3).
* Le degré de concentration des pouvoirs et le développement de l'appareil gouvernemental qui contrôle l'administration [3](#page=3).
L'ordre Westphalien, issu des Traités de Westphalie en 1648, a redéfini l'ordre international en faisant de l'État la seule source de souveraineté en droit international. Cet ordre a conduit à la concentration monopolistique, par un centre politique, du recours à la contrainte physique et des ressources fiscales sur un territoire donné [3](#page=3).
#### 1.6.1 L'État régulateur
L'État régulateur est un État minimal dont les fonctions se limitent aux prérogatives régaliennes: armée, police, justice et fiscalité. Il s'appuie sur un système administratif et sa fonction principale est de produire et faire appliquer la règle de droit. Il est souvent transformé en État-nation qui développe de nouvelles politiques publiques, notamment dans les domaines des transports [3](#page=3).
> **Tip:** Comprendre les différentes approches théoriques (évolutionniste, marxiste, culturelle, économique, guerrière) est crucial pour appréhender la complexité de la formation de l'État. Chaque perspective met en lumière des facteurs distincts mais interdépendants.
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> **Tip:** La distinction entre les sociétés pré-étatiques et les formes proto-étatiques est importante. Les premières sont souvent basées sur le parenté, tandis que les secondes commencent à manifester certains attributs étatiques sans en posséder l'intégralité.
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> **Tip:** La définition de Weber du monopole de la violence physique légitime est fondamentale. Mémorisez-la bien et comprenez ses implications pour l'organisation de la société.
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> **Tip:** Les travaux de Tilly sur la guerre comme moteur de la formation étatique offrent une perspective dynamique et historique essentielle. Analysez les liens entre la mobilisation des ressources pour la guerre et le renforcement des structures étatiques.
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# Les différents types et fonctions de l'État
Cette section explore les évolutions des fonctions de l'État à travers différents modèles : l'État régulateur, l'État protecteur et l'État providence, en détaillant leurs caractéristiques et les modèles associés.
### 2.1 L'État dans une perspective sociologique
L'État peut être analysé selon plusieurs critères essentiels au développement de ses structures. Les travaux de Bertrand Badie et Pierre Birnbaum dans "Sociologie de l'État" identifient deux facteurs principaux: la résistance des pouvoirs traditionnels et le niveau de développement industriel. Dans les régions où le capitalisme est fort, l'État a tendance à être moins centralisé, tandis que dans les territoires ayant connu une révolution industrielle tardive, l'État devient un acteur majeur du développement économique, se renforçant ainsi [3](#page=3).
#### 2.1.1 L'État comme produit de la guerre
Charles Tilly, dans son ouvrage "Contrainte et capital dans la formation de l'Europe" soutient que la structure de l'État est essentiellement un produit secondaire des efforts des gouvernants pour acquérir les moyens de la guerre. Selon cette perspective, la guerre est le moteur de la création de l'État, qui s'organise pour être plus efficace dans les conflits militaires. Cette dynamique historique et contemporaine montre que la guerre continue de façonner la production de l'État par la mobilisation de moyens financiers et administratifs. Les périodes de conflit accélèrent le développement des éléments fiscaux et administratifs, facilitent l'intégration des élites périphériques, stimulent les activités civiles de renforcement du pays (infrastructures, médecine), renforcent l'identité commune et l'intégration dans la structure étatique, et accroissent le rôle de l'État dans l'économie nationale à travers une économie de guerre. Les XVIIIe et XIXe siècles, avec leurs nombreux conflits, ont vu le renforcement de l'État par et dans la guerre [3](#page=3).
#### 2.1.2 Critères de comparaison des États
Badie et Birnbaum proposent plusieurs critères pour comparer les États :
* Le degré de centralisation [3](#page=3).
* Le degré de différenciation entre l'État et la société, c'est-à-dire son autonomie par rapport aux structures sociales, religieuses et coutumières [3](#page=3).
* Le degré de développement d'une administration bureaucratique fortement institutionnalisée et dépatrimonialisée, où les fonctions ne peuvent être achetées [3](#page=3).
* Le degré de concentration des pouvoirs et de développement de l'appareil gouvernemental contrôlant l'administration [3](#page=3).
L'ordre westphalien, issu des Traités de Westphalie en 1648, a redéfini l'ordre international en faisant de l'État la seule source de souveraineté en droit international et en concentrant le monopole du recours à la contrainte physique et des ressources fiscales sur un territoire donné par un centre politique [3](#page=3).
### 2.2 Les fonctions et types d'État
#### 2.2.1 L'État régulateur
L'État régulateur est un État "à minima" qui se concentre sur ses fonctions régaliennes: défense, police, justice et fiscalité. Il s'appuie sur un système administratif pour produire et faire appliquer la règle de droit. Souvent, cet État évolue vers un État-nation qui développe de nouvelles politiques publiques dans des domaines comme les transports, l'éducation et la communication, afin de réduire les distances territoriales et de contribuer à l'émergence d'une culture nationale. L'État renforce la nation, et la nation, en retour, renforce l'État [3](#page=3) [4](#page=4).
#### 2.2.2 L'État protecteur
Au XIXe siècle, une conception plus redistributive de la politique émerge, passant d'une vision individuelle à une vision collective. La fin du XIXe siècle voit apparaître les assurances collectives, notamment pour le travail, en réponse à l'évolution économique et à l'essor du travail industriel. Ceci marque l'avènement d'une société assurantielle, garantie par l'État et développée dans divers champs. En France, par exemple, les actifs cotisent pour les inactifs et les retraités, en réponse à l'essor du système ouvrier. Trois innovations majeures caractérisent cette période [4](#page=4):
* Les cotisations obligatoires [4](#page=4).
* La solidarité par groupe professionnel [4](#page=4).
* L'État qui garantit, jouant un rôle de pilotage des transferts financiers [4](#page=4).
#### 2.2.3 L'État providence
L'État providence est une intensification de l'État protecteur, marquée par le développement de la protection sociale et de la solidarité. Les États sortent affaiblis des guerres, créant une sorte de dette envers les populations, ce qui conduit à la mise en place de systèmes pour indemniser les victimes. Ce modèle vise l'universalisation de la protection sociale. L'émergence de l'État providence est fortement influencée par la pensée keynésienne, qui souligne la nécessité du rôle de l'État dans la relance économique et suggère le développement de grandes infrastructures. L'État devient planificateur et producteur, pouvant nationaliser des entreprises, soutenir la demande et investir [4](#page=4).
Plusieurs modèles d'État providence existent :
* **Modèle conservateur corporatiste:** Caractéristique de pays comme l'Allemagne et la France, il repose sur la logique de maintien du revenu et l'assurance sociale [4](#page=4).
* **Modèle social-démocrate:** Observé dans les pays scandinaves, la citoyenneté donne droit aux contributions de l'État providence via les impôts [4](#page=4).
* **Modèle libéral:** Typique des pays anglo-saxons, il est basé sur le principe du besoin et du ciblage [4](#page=4).
Les politiques distributives ont été remises en cause, notamment sous les mandats de Ronald Reagan aux États-Unis (1981-1989) et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni (1979-1990), ce qui a dynamisé le Royaume-Uni, mais a aussi anéanti le système syndical britannique dans une logique conservatrice [4](#page=4).
### 2.3 Trajectoires non européennes de la formation de l'État
#### 2.3.1 Perspectives comparatives
**Chine:** La logique de Tilly, selon laquelle le renforcement de l'État et de la bureaucratie découle de la guerre, est applicable à la Chine dans sa forme impériale. Elle s'est appuyée sur une administration permanente depuis le VIIIe siècle, malgré l'instabilité des frontières et une différenciation limitée du pouvoir impérial par rapport au religieux. Le poids du confucianisme, qui défend une morale humaniste sans recours à la métaphysique et est loin d'une logique de séparation entre l'État et la religion, a limité la capacité du droit par le pouvoir, engendrant une concurrence entre le pouvoir laïque et le religieux. La bureaucratie, en tant qu'acteur politique, ne se contente pas d'appliquer les décisions mais peut influencer les politiques publiques, constituant un instrument du pouvoir exécutif pour agir sur le territoire [4](#page=4).
**Amérique Latine:** La situation en Amérique Latine est hétérogène et diffère de celle de l'Europe, marquée par peu de guerres interétatiques et une absence de logique de développement étatique uniforme. La géographie accidentée a limité le processus de bureaucratisation dans certains pays comme la Colombie, le Pérou ou la Bolivie. Des pays comme le Chili et l'Uruguay ont cependant réussi à développer une administration indépendante et bureaucratique, et à imposer une figure étatique plus affirmée [4](#page=4).
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# Les trajectoires non européennes de la formation de l'État
Ce sujet explore la formation de l'État en dehors du contexte européen, en analysant les spécificités régionales et l'impact de la colonisation.
### 3.1 Perspectives comparatives
#### 3.1.1 La Chine
La formation de l'État en Chine suit une logique proche de celle décrite par Tilly, où le renforcement de l'État et de sa bureaucratie est lié à la guerre. Cependant, la Chine présente une forme impériale s'appuyant sur une administration permanente dès le 8ème siècle, mais avec une instabilité des frontières et une différenciation limitée du pouvoir impérial par rapport au religieux. Le confucianisme, avec ses préceptes moraux et humanistes sans fondement métaphysique, a limité la capacité du droit par le pouvoir en raison de la concurrence entre le pouvoir laïque et religieux [4](#page=4).
#### 3.1.2 L'Amérique Latine
La situation en Amérique Latine est hétérogène et diffère de celle de l'Europe. Le faible nombre de guerres interétatiques et une géographie accidentée ont limité le processus de bureaucratisation dans certains pays comme la Colombie, le Pérou ou la Bolivie. À l'inverse, des pays comme le Chili et l'Uruguay ont mieux réussi à développer une administration indépendante et bureaucratique, ainsi qu'à imposer une figure étatique [4](#page=4).
#### 3.1.3 Les États-Unis
La formation de l'État aux États-Unis ne suit pas le modèle européen. L'État y apparaît plus faible en termes d'organisation et de centralisation. Il se développe dans un contexte démocratique, contrairement à l'Europe sous des régimes absolutistes au 16ème siècle. La démarche est plus souple, moins coercitive, plus collaborative et moins bureaucratique, ainsi que moins unifiée. La différenciation entre le pouvoir de l'État et l'organisation sociale est moindre, notamment via la pratique du patronage (clientélisme lié à la distribution des postes de responsabilité par les partis politiques) [5](#page=5).
#### 3.1.4 Le monde musulman
Dans le monde musulman, la centralisation est plus limitée, avec une forte fluctuation des frontières. Bien qu'un appareil administratif spécialisé se développe, il reste fortement patrimonialisé et faiblement autonomisé par rapport aux structures sociales préexistantes. L'organisation basée sur le califat est peu différenciée de la religion, avec pour mission de protéger l'islam et les croyants, s'appuyant sur la force du droit. La vocation de l'islam comme source du droit engendre une forte contestation du pouvoir [5](#page=5).
#### 3.1.5 L'Inde
L'Inde connaît une forte instabilité des formes de pouvoir, où la géographie joue un rôle important. Il y a une atomisation du pouvoir politique, une absence de centralisation et un appareil administratif limité, avec des charges publiques fortement patrimonialisées. La faible différenciation par rapport à l'organisation sociale est marquée par la logique des castes, allant des plus hauts gradés aux intouchables. La tradition constitue un obstacle au développement de l'État moderne en raison de cette faible différenciation [5](#page=5).
#### 3.1.6 L'Afrique subsaharienne
En Afrique subsaharienne, on observe une forte instabilité et une diversité des formes de pouvoir, avec une faible centralisation et institutionnalisation. La multiplication des clivages sociaux et l'organisation de la société autour des ethnies caractérisent la région. La différenciation est faible par rapport aux structures sociales, et la patrimonialisation du pouvoir est importante (transfert, vente de charges) [5](#page=5).
### 3.2 États coloniaux et importations d'éléments de l'État occidental
L'imposition de la clôture territoriale a entraîné le transfert d'un modèle constitutionnel, d'une codification juridique et de pratiques administratives. Deux caractéristiques marquent l'exportation de l'État occidental: la territorialisation (infrastructures de transport) et l'institutionnalisation par une organisation coloniale, avec l'application de droits différenciés. Au 19ème siècle, l'importation d'éléments de l'État occidental visait à renforcer les pouvoirs impériaux, menant à une modernisation conservatrice et au renforcement du pouvoir bureaucratique et unitaire [5](#page=5).
#### 3.2.1 Le Japon sous l'ère Meiji (1862-1912)
Le Japon, durant l'ère Meiji, a adopté des codes occidentaux, notamment dans les tenues. Il a effectué une transition d'un système féodal vers un système industriel occidental, en s'inspirant des prérogatives d'un État moderne. L'inspiration est venue de différentes cultures européennes: la France pour l'organisation territoriale (Préfecture), l'Allemagne pour la Constitution, et les États-Unis pour le système éducatif. L'État japonais a ainsi imposé ses caractéristiques [5](#page=5).
#### 3.2.2 Impacts de la colonisation
L'État dans les colonies est lié au rôle des pays colonisateurs, entraînant une déstabilisation des modes traditionnels d'organisation politique. Cela a conduit à des modes hybrides et au développement de formes étatiques spécifiques, ainsi qu'à des modalités d'autorité duales (une forme étatique et une autre religieuse/tribale), ce qui correspond à une néopatrimonialisation retrouvée dans certains États africains. Des éléments de l'État moderne se sont développés, coexistant avec la domination de l'État moderne rationnel. On observe une accumulation des ressources entre les mains des dirigeants politiques, suivie d'une redistribution selon une logique clientéliste [5](#page=5).
Le bilan de la figure de l'État au niveau mondial est contrasté, et la question de l'État comme modalité d'organisation des sociétés demeure pertinente [5](#page=5).
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# L'État face aux défis de la modernité
Ce thème explore les transformations contemporaines de l'État, notamment l'affaiblissement de ses fonctions policières et militaires, la remise en question de ses frontières, sa capacité de gouvernance face aux données numériques, et l'évolution de sa bureaucratie.
### 4.1 Diversité des formes de l'État à travers le monde
L'organisation de l'État présente des variations significatives à l'échelle mondiale, influencées par des contextes historiques, culturels et géographiques spécifiques [5](#page=5).
#### 4.1.1 Les États-Unis
Aux États-Unis, l'État se caractérise par une organisation moins centralisée et coercitive que dans le modèle européen. Il présente un caractère plus collaboratif et moins bureaucratique, avec une différenciation moindre entre le pouvoir de l'État et l'organisation sociale, notamment par le biais de pratiques de patronage et de clientélisme où les postes sont distribués par les partis politiques [5](#page=5).
#### 4.1.2 Le monde musulman
Dans le monde musulman, la centralisation de l'État est plus limitée, marquée par une forte fluctuation des frontières. Bien qu'un appareil administratif spécialisé se développe, il reste fortement patrimonialisé et faiblement autonomisé par rapport à la structure sociale préexistante. L'organisation de type califat est peu différenciée de la religion, avec pour mission la protection de l'islam et des croyants, mais elle fait face à une contestation du pouvoir due à la vocation de l'islam à être la source du droit [5](#page=5).
#### 4.1.3 L'Inde
En Inde, l'État connaît une forte instabilité des formes de pouvoir, où la géographie joue un rôle important. On observe une atomisation du pouvoir politique, une absence de centralisation, un appareil administratif limité et une forte patrimonialisation des charges publiques. La faible différenciation par rapport à l'organisation sociale, notamment la logique de castes, constitue un obstacle au développement de l'État moderne [5](#page=5).
#### 4.1.4 L'Afrique subsaharienne
Dans cette région, l'État est marqué par une forte instabilité, une diversité des formes de pouvoir, une faible centralisation et institutionnalisation. La société s'organise souvent autour des ethnies, entraînant une faible différenciation par rapport aux structures sociales et une importante patrimonialisation du pouvoir (transfert, vente de charges) [5](#page=5).
#### 4.1.5 Les États coloniaux et l'importation du modèle occidental
L'imposition d'une clôture territoriale par les puissances coloniales a entraîné le transfert de modèles constitutionnels, de codifications juridiques et de pratiques administratives de l'Occident. Deux caractéristiques soulignent cette exportation: la territorialisation (infrastructures de transport) et l'institutionnalisation via une organisation coloniale appliquant des droits différenciés. Au XIXe siècle, cette logique d'importation visait à renforcer les pouvoirs impériaux par une "modernisation conservatrice" [5](#page=5).
#### 4.1.6 Le Japon sous l'ère Meiji
Le Japon, sous l'ère Meiji (1862-1912), a adopté des codes occidentaux, passant d'un système féodal à un système industriel inspiré de diverses cultures européennes. L'organisation territoriale s'est inspirée de la France (préfectures), la Constitution de l'Allemagne, et le système éducatif des États-Unis, démontrant une imposition des caractéristiques de l'État moderne [5](#page=5).
#### 4.1.7 L'héritage colonial et ses conséquences
L'État lié aux pays colonisateurs a déstabilisé les modes traditionnels d'organisation politique, créant des modes hybrides et des modalités d'autorité duales (étatique et religieuse/tribale), conduisant à une néopatrimonialisation retrouvée dans certains États africains. L'accumulation des ressources entre les mains des dirigeants politiques et leur redistribution selon une logique clientéliste sont également des conséquences observées. Le bilan de la figure de l'État au niveau mondial est contrasté, et la question de l'État comme modalité d'organisation des sociétés demeure pertinente [5](#page=5).
### 4.2 L'État à l'épreuve de la modernité
L'État contemporain est confronté à plusieurs défis majeurs qui remettent en cause ses fonctions traditionnelles et ses modes d'organisation.
#### 4.2.1 Affaiblissement de l'État dans les domaines policiers et militaires
Le maintien de l'ordre voit le développement de logiques d'entreprises privées, comme les milices bénévoles et les processus d'autodéfense, qui remettent en question le monopole de la violence légitime de l'État et manifestent une défiance envers son autorité. Ces mouvements peuvent bénéficier de complicités au sein de certains secteurs de l'État, comme aux États-Unis et en Inde, affaiblissant ainsi l'État central [6](#page=6).
Dans le domaine militaire, on observe le développement de groupes paramilitaires, comme en Colombie pour lutter contre les FARC, ou en Asie du Sud-Est où des milices agissent comme force de contrôle et culturelle, tels que les milices musulmanes au Bangladesh. La logique de mercenariat avec des armées privées, telles que le groupe Wagner, qui combattent aux côtés d'armées régulières, crée des relations ambiguës avec les États et peut être utilisée pour renforcer leur influence [6](#page=6).
#### 4.2.2 La question des frontières
L'ouverture des frontières, le développement des flux financiers et humains, le renforcement des multinationales, les trafics illégaux et les mouvements migratoires remettent en cause la logique de clôture territoriale de l'État, entraînant un effacement des frontières. Cette situation suscite une "refrontiérisation" avec la construction de murs, comme aux États-Unis, en Hongrie et en République dominicaine. L'espace Schengen illustre cette complexité, avec des États membres de l'UE n'y adhérant pas et des États extérieurs en faisant partie, tout en autorisant temporairement le rétablissement des frontières [6](#page=6).
#### 4.2.3 Capacité à gouverner et pilotage des sociétés
Michael Mann décrit l'État moderne contemporain par un accroissement de son "pouvoir infrastructurel", qui ne se limite pas aux dépenses publiques mais s'exerce par la régulation des conduites individuelles. L'État structure ainsi des domaines comme le marché du travail, les rapports entre hommes et femmes, et les relations familiales, entraînant une "étatisation" de la société. Des éléments comme les recensements, la standardisation des noms et des langues sont nécessaires à l'État pour imposer son pouvoir via la production de connaissances sur la population [6](#page=6).
Le quasi-monopole des GAFAM dans le domaine digital et la collecte de données transfère une partie du pouvoir infrastructurel du public vers le privé, créant une domination de la "DATA" [6](#page=6).
#### 4.2.4 Une bureaucratie toujours autonome ?
Le XIXe siècle en Europe a vu le développement d'une fonction publique bureaucratique et autonome, comme en France. Cependant, Pierre Bourdieu remet en question l'autonomie de la haute administration, la jugeant peu différenciée des champs politiques et économiques. La pratique du "pantouflage" (hauts fonctionnaires rejoignant de grandes entreprises) et l'influence du "new public management" participent à la réduction de l'autonomie de l'État en développant des logiques managériales et une forme de privatisation, notamment par la sous-traitance. La bureaucratie étatique est également remise en question par les logiques de gouvernance et le partage du pouvoir avec les sphères locale et européenne [6](#page=6).
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## Erreurs courantes à éviter
- Révisez tous les sujets en profondeur avant les examens
- Portez attention aux formules et définitions clés
- Pratiquez avec les exemples fournis dans chaque section
- Ne mémorisez pas sans comprendre les concepts sous-jacents
Glossary
| Term | Definition |
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| Monopole légitime de la violence | Principe selon lequel l'État est la seule entité autorisée à utiliser la force physique dans une société, et ce droit est reconnu par la population. Il est essentiel à l'existence et au maintien de l'ordre étatique. |
| Sociétés pré-étatiques | Formes d'organisation sociale qui précèdent l'émergence de l'État. Elles sont généralement caractérisées par des liens basés sur la parenté plutôt que sur un territoire défini, et une absence de pouvoir centralisé. |
| Chef traditionnel | Figure d'autorité dans certaines sociétés non étatiques, responsable de la régulation interne du groupe, de la médiation et de la distribution des biens. Son pouvoir repose sur son éloquence et sa capacité à maintenir l'harmonie sociale. |
| Chef de guerre | Figure d'autorité dans certaines sociétés non étatiques, dont le rôle principal est d'assurer la défense du groupe contre les menaces extérieures. Il est responsable de la régulation externe et de la protection du territoire. |
| Approche évolutionniste | Théorie sociologique qui postule que les sociétés évoluent de manière linéaire vers des formes plus complexes, incluant le développement de l'État. L'État est vu comme une conséquence naturelle de la modernisation et de la division du travail. |
| Approche marxiste | Perspective qui analyse l'État comme un instrument de domination au service de la classe dominante, utilisé pour réprimer les classes opprimées et maintenir l'ordre établi. L'État est considéré comme une superstructure découlant des rapports économiques. |
| Superstructure | Dans la théorie marxiste, ensemble des institutions politiques, juridiques, idéologiques et culturelles qui reposent sur la structure économique d'une société et servent à légitimer et à perpétuer les rapports de production existants. |
| Bureaucratie | Mode d'organisation administrative caractérisé par une hiérarchie claire, des règles écrites, une division du travail spécialisée et des fonctionnaires compétents. Max Weber la considère comme l'idéal-type de l'organisation rationnelle. |
| État régulateur | Forme minimale d'État dont les fonctions se limitent aux prérogatives régaliennes : armée, police, justice et fiscalité. Il se concentre sur la production et l'application du droit, et peut évoluer vers un État-nation en développant des politiques publiques. |
| État protecteur | État qui développe des politiques redistributives et une conception collective de la protection sociale, notamment à travers des assurances collectives. Il répond à l'évolution économique et à l'essor du travail industriel. |
| État providence | Intensification de l'État protecteur, caractérisé par un développement accru de la protection sociale et de la solidarité. Il vise à assurer le bien-être de ses citoyens à travers divers systèmes de redistribution et de services publics. |
| Pouvoir infrastructurel | Capacité de l'État moderne à agir directement sur la société et à réguler les conduites individuelles dans divers domaines, tels que le marché du travail, les relations familiales ou l'éducation, grâce à la collecte et l'analyse de données. |
| Pantouflage | Pratique par laquelle des hauts fonctionnaires quittent leurs fonctions publiques pour rejoindre le secteur privé, notamment de grandes entreprises. Cela remet en question l'autonomie de la haute administration. |