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Inizia ora gratuitamente Chapitre V
Summary
# Participation populaire et citoyenneté dans les démocraties pluralistes
Dans les démocraties pluralistes, la participation populaire et la citoyenneté sont des éléments centraux qui légitiment le pouvoir et définissent les droits des individus au sein du système politique [1](#page=1).
### 1.1 Le poids politique de l'élément de participation populaire
L'émergence du suffrage populaire a nécessité de répondre à deux défis majeurs [1](#page=1).
#### 1.1.1 Les défis de l'apparition du suffrage populaire
1. **Le défi de la division profonde des classes dirigeantes**: Selon Moïse Finet, la démocratie, en tant qu'élément de participation populaire, permet un arbitrage différent entre les intérêts divergents des catégories dominantes. Aucune élite n'est en mesure d'imposer une victoire totale à une autre, et le suffrage populaire aide à concilier leurs intérêts, parfois divergents, parfois complémentaires, tout en assurant un soutien populaire. Le suffrage populaire gère ainsi les relations entre les élites [1](#page=1).
2. **Le défi de la mobilisation des classes populaires**: Les processus d'urbanisation et d'industrialisation au 19ème siècle ont engendré des demandes de participation. La consécration du suffrage populaire et la participation des classes populaires sont apparues notamment en Angleterre vers 1840 avec le mouvement chartiste, qui a démocratisé le vote alors censitaire, auparavant dominé par la "gentry" et les milieux d'affaires. Ce mouvement a élargi le suffrage, le transformant en un instrument éducatif pour les masses. La France et l'Allemagne ont connu des régimes autoritaires (Second Empire et Bismarck) qui ont banalisé le suffrage universel tout en répondant aux attentes de participation populaire, rassurant ainsi les élites sur les conséquences potentielles. L'institutionnalisation du suffrage pourrait aussi correspondre à un phénomène historique d'encadrement et d'apprivoisement des masses [1](#page=1).
#### 1.1.2 Les fonctions de la participation populaire
1. **La fonction de légitimation des gouvernants**: Légitimer les gouvernants facilite l'exercice de leur pouvoir. Le développement du vote est concomitant au développement de l'État et à la laïcisation de la société; la légitimité divine n'étant plus suffisante pour fonder l'obéissance, il faut chercher une légitimité interne, et le suffrage universel apparaît comme un moyen d'exprimer le consentement. L'effondrement de la participation aux élections est plus préoccupant que la montée de partis dits "extrémistes" [1](#page=1).
2. **La fonction de choix des gouvernants**: Bien que le vote vise à choisir les gouvernants, il est rare que l'électeur choisisse réellement qui il va voter. Les candidats sollicités sont sélectionnés par des procédures juridiques, des partis politiques, leur capacité financière à se présenter, et leur accès aux médias. Comme le disait Gaetano Mosca, « Les représentants ne sont pas élus, ils se font élire » [2](#page=2).
#### 1.1.3 La participation populaire face à la pluralité
1. **Unité de la classe dirigeante**: Si la classe dirigeante est homogène et s'accorde sur tout, les désaccords sont de nature marginale, créant une illusion d'alternance pour la participation populaire [2](#page=2).
2. **Pluralité des classes dirigeantes**: Lorsque les classes dirigeantes ont de réelles divergences, le système politique redevient un espace où leurs conflits sont réglés et des compromis construits. La participation populaire retrouve alors son sens, car elle arbitre entre ces différentes classes divergentes. En contrepartie du vote, les masses qui participent au jeu électoral bénéficient de promesses électorales qui se transforment en promesses publiques. Le recours au suffrage universel a un impact plus ou moins fort [2](#page=2).
### 1.2 Démocratie et droits des citoyens
La démocratie met en place la souveraineté du peuple, posant la question de l'état des droits des citoyens et de leur évolution [2](#page=2).
#### 1.2.1 Citoyenneté civile, politique et sociale
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Marshall a décrit un processus de démocratisation en Europe en plusieurs étapes, chaque étape étant associée à un type de citoyenneté [2](#page=2).
* **Citoyenneté civile**: Elle concerne la protection des libertés individuelles fondamentales, telles que la liberté de culte, d'opinion, d'expression et de réunion. Elle implique un État de droit où la puissance publique est limitée par le droit [2](#page=2).
> **Example:** L'affaire Calas à Toulouse, impliquant un commerçant protestant accusé à tort de l'assassinat de son fils, a nécessité une intervention de Voltaire pour la tolérance et a mené à la réhabilitation de Calas dans ses droits en 1765 [2](#page=2).
* **Citoyenneté politique**: Elle se manifeste par le débat public au 19ème siècle et l'ouverture du vote aux catégories exclues. La garantie du secret du vote avec l'isoloir en fait partie. Selon Marshall, ce combat est rendu possible par la préexistence de la citoyenneté civile [2](#page=2).
* **Citoyenneté sociale**: Elle est liée au développement de l'État-providence et s'inscrit par l'introduction de droits sociaux, le contrôle du capitalisme, et nécessite la préexistence de la citoyenneté civile et politique [2](#page=2).
Cette analyse permet d'inscrire l'évolution de la citoyenneté [2](#page=2).
#### 1.2.2 Du droit des minorités
Marshall analyse, en lien avec l'extension des droits citoyens, la charte européenne des langues régionales et minoritaires, adoptée par la France mais jamais ratifiée. En science politique, des théoriciens comme Will Kymlicka, issus de la communauté canadienne, ont réfléchi à des mesures pour établir une citoyenneté multiculturelle, telles que l'octroi de droits fonciers et d'autogouvernement pour les peuples autochtones, le statut officiel des langues minoritaires, ou encore l'accommodement raisonnable en faveur des minorités. Rovny a analysé que dans les pays de l'Europe de l'Est, ces revendications renforcent la démocratie [2](#page=2) [3](#page=3).
### 1.3 Classification institutionnelle
Dans les démocraties pluralistes, le peuple exerce très rarement la souveraineté de manière directe, les référendums étant rares. L'exercice de la souveraineté est délégué par le vote à des représentants qui décident pour le peuple. Historiquement, l'analyse des régimes démocratiques s'est focalisée sur les rapports entre les différents pouvoirs (législatif et exécutif) [3](#page=3).
#### 1.3.1 Régimes à séparation souple/rigide
* **Régime à séparation souple**: Il concerne tous les systèmes parlementaires monistes où l'exécutif et le législatif sont interdépendants. L'exécutif est politiquement responsable devant le législatif, ce qui est compensé par un pouvoir de dissolution de l'exécutif par le législatif. L'exécutif possède un pouvoir d'initiative législative et un droit d'amendement [3](#page=3).
* **Régime à séparation rigide**: Illustré par les États-Unis, ce régime voit le pouvoir exécutif et législatif être indépendants, sans responsabilité mutuelle ni dissolution. Chaque organe exerce l'intégralité de son pouvoir. Le président n'a pas d'initiative législative ni de pouvoir d'amendement, disposant seulement d'un droit de veto qui peut être levé à la majorité des deux tiers du Sénat [3](#page=3).
#### 1.3.2 Les régimes parlementaires
Un régime parlementaire est défini comme un système où « le gouvernement (conseil des ministres) qui exerce le pouvoir au nom d’un chef d’État irresponsable, est politiquement responsable devant une assemblée législérante susceptible d’être dissoute ». Le Parlement est généralement composé de deux chambres aux pouvoirs inégaux: une issue du suffrage universel direct qui exerce le contrôle sur l'exécutif, et une seconde aux prérogatives plus limitées, avec une participation à l'exercice législatif via le système de navette parlementaire [3](#page=3).
Il existe deux variantes principales :
* **Régime d'assemblée**: Caractérisé par la faiblesse des organes exécutifs, résultant de dispositions écrites ou de pratiques. Il y a une absence de restrictions juridiques à la compétence des assemblées, les gouvernements sont issus de l'assemblée, et les ministres doivent se plier aux directives des assemblées. L'autorité du gouvernement sur ses collègues est faible au sein d'un exécutif déjà diminué. La Constitution française de 1946 en est un exemple [3](#page=3).
* **Exécutif dominant**: C'est la forme la plus fréquente, observée au Royaume-Uni, en Suède et en Allemagne. Cette réalité est facilitée par des dispositions juridiques instaurant un parlementarisme rationalisé, avec des modalités restrictives pour mettre en jeu la responsabilité politique du gouvernement, une maîtrise de l'ordre du jour par l'exécutif, et une limitation de la durée des sessions parlementaires. Des éléments issus de la pratique politique contribuent à cela, comme l'appui sur un système de partis disciplinés. Les dirigeants d'une majorité siégeant au gouvernement exercent un contrôle parlementaire limité, sauf en cas de crise politique ou de rupture de coalition. La responsabilité politique du gouvernement devant les assemblées devient alors théorique et rarement formelle. Le phénomène de complexification des enjeux et des échelons favorise un exécutif mieux armé que les parlementaires, lesquels sont accompagnés d'attachés pour accomplir un travail législatif précis et cohérent [3](#page=3).
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# Classification institutionnelle des régimes démocratiques
La classification des régimes démocratiques s'articule autour de l'analyse des relations entre les pouvoirs législatif et exécutif, ainsi que de la distinction entre les approches majoritaires et consensuelles de la gouvernance [3](#page=3).
### 2.1 Les typologies classiques des régimes démocratiques
L'analyse historique des régimes démocratiques s'est initialement focalisée sur les interactions entre les pouvoirs législatif et exécutif [3](#page=3).
#### 2.1.1 Régime à séparation souple et rigide
Cette distinction repose sur le degré d'interdépendance et de responsabilité mutuelle entre les pouvoirs législatif et exécutif [3](#page=3).
* **Séparation souple:** Caractérise les systèmes parlementaires monistes où l'exécutif et le législatif sont interdépendants. L'exécutif est politiquement responsable devant le législatif, tandis que ce dernier peut être dissous par l'exécutif. L'exécutif possède également un pouvoir d'initiative législative et un droit d'amendement [3](#page=3).
* **Séparation rigide:** Observée dans le régime présidentiel américain, où le pouvoir exécutif et le législatif sont indépendants. Il n'y a ni responsabilité politique ni possibilité de dissolution mutuelle. Chaque organe exerce ses pouvoirs de manière autonome, le président n'ayant pas d'initiative législative ni de pouvoir d'amendement, hormis un droit de veto levable par une majorité qualifiée du Sénat [3](#page=3).
#### 2.1.2 Les régimes parlementaires
Un régime parlementaire se définit par le fait que le gouvernement, exerçant le pouvoir au nom d'un chef d'État irresponsable, est politiquement responsable devant une assemblée législante susceptible d'être dissoute. Le Parlement est généralement composé de deux chambres aux pouvoirs inégaux, l'une issue du suffrage universel direct exerçant le contrôle sur l'exécutif, et l'autre aux prérogatives plus limitées participant à l'exercice législatif via le système de navette parlementaire [3](#page=3).
* **Variantes du régime parlementaire :**
* **Régime d'assemblée:** Caractérisé par une faiblesse des organes exécutifs, résultant de dispositions constitutionnelles ou de pratiques politiques. L'absence de restrictions juridiques à la compétence des assemblées, des gouvernements issus de l'assemblée, et l'obligation pour les ministres de se conformer aux directives de celle-ci, ainsi qu'une faible autorité du gouvernement sur ses membres, définissent ce modèle. La Constitution française de 1946 en est un exemple [3](#page=3).
* **Exécutif dominant:** Le plus fréquent (Royaume-Uni, Suède, Allemagne), facilité par un parlementarisme rationalisé qui instaure des modalités restrictives pour la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement. La maîtrise de l'ordre du jour des assemblées par l'exécutif et la limitation de la durée des sessions parlementaires contribuent à cette prédominance. La pratique politique, notamment l'appui sur des partis disciplinés dont les dirigeants siègent au gouvernement, limite le contrôle parlementaire, rendant la responsabilité politique du gouvernement théorique en dehors des crises politiques majeures ou des ruptures de coalition [3](#page=3).
> **Tip:** Le phénomène de complexification des enjeux et des échelons confère à l'exécutif un avantage certain face aux parlementaires, qui s'appuient sur une administration pour accomplir un travail législatif précis et cohérent [3](#page=3).
#### 2.1.3 Le régime présidentiel
Dans cette forme de démocratie représentative, il existe une autonomie politique réciproque entre le pouvoir gouvernemental et les assemblées délibératives. Le critère principal est négatif: le chef de l'exécutif ne peut dissoudre le Parlement, et celui-ci ne peut renverser le gouvernement. Le régime présidentiel américain présente des formes d'intervention réciproque, telles que le droit de veto législatif du président, la nécessité d'obtenir l'assentiment du Sénat pour nommer les principaux responsables, et la procédure d'impeachment visant le président. Le suffrage universel du président, direct ou indirect, lui confère une légitimité considérable face au Parlement [4](#page=4).
* **Nuances du régime présidentiel :**
* **Régime présidentiel strict:** L'exécutif est strictement monocéphale, sans chef de gouvernement distinct ni cabinet au sens traditionnel. Les ministres sont des collaborateurs du président, relevant de son autorité et dirigeant les grandes administrations publiques [4](#page=4).
* **Régime semi-présidentiel:** Caractérisé par l'existence d'un président élu au suffrage universel, doté de pouvoirs propres, et le maintien d'un chef de gouvernement et d'un cabinet responsables devant les députés. Ce modèle est observé en Europe de l'Ouest (République de Weimar, Ve République française, Autriche, Portugal). La cohabitation politique tend le régime vers un fonctionnement parlementaire [4](#page=4).
* **Présidentialisme:** Courant dans de nombreuses constitutions sud-américaines et africaines, il se distingue par l'élection au suffrage universel du chef de l'exécutif doté de compétences étendues. Ces régimes peuvent ne pas maintenir les équilibres relatifs d'un régime présidentiel classique, le pluralisme politique pouvant n'être qu'une façade dissimulant des tendances autoritaires [4](#page=4).
#### 2.1.4 Les éléments de démocratie directe
La démocratie directe se manifeste par le recours au référendum et, plus rarement, au droit de révocation des élus. Le référendum, qu'il porte sur un projet de loi ordinaire ou constitutionnel, suspend le système de représentation, tendant à affaiblir le pouvoir des élus au profit de celui des citoyens [4](#page=4).
* **Pratiques du référendum :**
* **Tradition bonapartiste:** Recours au peuple pour légitimation, souvent à caractère plébiscitaire, permettant à un chef de l'exécutif de renforcer sa légitimité face aux assemblées. La question, le moment et la formulation relèvent de l'exécutif. Cette pratique a été développée par Napoléon, la République de Weimar et le Général de Gaulle [4](#page=4).
* **Tradition suisse:** L'initiative populaire permet d'exprimer un désaccord populaire face aux institutions qui excluraient certains débats [4](#page=4).
* **Pratique occidentale récente:** Utilisée pour les "questions de société" (avortement, mariage pour tous), elle permet d'éviter de graves distorsions lorsque les clivages gouvernementaux ne correspondent pas aux attentes des électeurs [4](#page=4).
* **Révocation des élus:** Très rarement permise, elle suscite l'hostilité des élus dans des pays comme les États-Unis [4](#page=4).
### 2.2 Les évolutions des démocraties contemporaines
Les démocraties contemporaines tendent à présenter des caractéristiques hybrides, s'éloignant d'une classification binaire rigide [4](#page=4).
* **Renforcement du pouvoir exécutif:** La production législative est très majoritairement d'origine gouvernementale (75%). Des dispositifs constitutionnels permettent aux gouvernements de se substituer au Parlement (décret-loi en Italie, ordonnance sur l'article 38 de la Constitution de la IIIe République, législation déléguée au Royaume-Uni, article 11 et 49-3 en France). Cette logique de renforcement du chef du gouvernement est particulièrement marquée au Royaume-Uni, où le rôle du Premier ministre est devenu plus vertical et monocratique, influencé par des figures comme Margaret Thatcher [5](#page=5).
* **Médiatisation de la vie politique:** La généralisation de la télévision et l'avènement des réseaux sociaux ont accru le traitement médiatique de l'activité politique. Cela favorise le développement de stratégies de communication individuelle et la recherche d'une légitimité médiatique avant une légitimité partisane, renforçant la présidentalisation de l'exécutif [5](#page=5).
* **Renforcement de la dimension internationale:** Le chef de l'exécutif consacre une part croissante de son activité à la scène internationale (Conseil de l'UE, G7, G20) [5](#page=5).
* **Complexification des enjeux et interdépendance accrue:** Les politiques publiques impliquent de plus en plus de ministères et nécessitent une coordination intergouvernementale. L'exécutif, s'appuyant sur une administration d'État major, est mieux armé pour traiter ces informations complexes [5](#page=5).
* **Développement du "spoil system":** Mise en place aux États-Unis en 1828, elle permet au président élu de nommer des personnes à des postes stratégiques du gouvernement fédéral. La France et l'Allemagne ont également des systèmes de nomination politique, visant à créer une fidélité envers le nommant et à renforcer l'exécutif [5](#page=5).
* **Renforcement du contrôle juridique et de la vie politique:** Ce phénomène est commun à toutes les démocraties et se manifeste par le contrôle de constitutionnalité, affirmé depuis l'arrêt Marbury v. Madison aux États-Unis, et développé en Europe après la Seconde Guerre mondiale. L'encadrement juridique de la vie politique concerne le fonctionnement et le financement des partis ainsi que la réglementation du lobbying, afin de limiter l'influence des intérêts privés et de garantir la défense de l'intérêt général [5](#page=5) [6](#page=6).
* **Demande sociale de davantage de participation directe et citoyenne:** Depuis les années 1970, une demande accrue de démocratie directe et participative se fait sentir. Les citoyens remettent en cause la légitimité des représentants et demandent davantage de transparence, de consultation réelle et de nouvelles procédures participatives, telles que les budgets participatifs ou les jurys citoyens [6](#page=6).
> **Tip:** L'accent mis sur la qualité de la délibération devient une nouvelle forme de légitimation de l'action publique [6](#page=6).
* **Question de la localisation du pouvoir:** La distinction entre États unitaires et États fédéraux est cruciale. Dans les États fédéraux, il y a un partage de souveraineté et de pouvoir législatif entre l'État fédéral et les entités fédérées. Dans les États unitaires, les pouvoirs locaux n'exercent que des compétences réglementaires limitées. Une tendance à la centralisation des États est observée face aux grandes crises (covid, terrorisme, changement climatique). Les États régionaux (Espagne, Italie) combinent des éléments des deux types d'État avec des négociations permanentes entre les communautés autonomes et le gouvernement central [6](#page=6) [7](#page=7).
### 2.3 Démocratie par règles majoritaires et démocratie par consensus (selon Lijphart)
Pour appréhender le fonctionnement d'un régime démocratique, Arend Lijphart distingue deux modèles: les démocraties par règles majoritaires et les démocraties par consensus [7](#page=7).
* **Démocraties par règles majoritaires:** Ces démocraties s'appliquent aux régimes où l'exécutif domine, mais où le pouvoir législatif n'est que peu contrôlé par une Cour constitutionnelle. Elles fonctionnent de manière centralisée, sur la base du scrutin majoritaire et d'un système bipartisan, où le parti arrivé en tête forme un gouvernement unitaire. Le modèle britannique en est souvent cité comme illustration [7](#page=7).
* **Démocraties par consensus:** Ces démocraties recherchent l'accord du plus grand nombre, dépassant la simple règle majoritaire. Elles sont décentralisées, multipartites, utilisent le scrutin proportionnel et privilégient les gouvernements de coalition. La Suisse et la Belgique sont citées comme exemples [7](#page=7).
> **Tip:** Le choix entre la règle majoritaire et la recherche du consensus dépend de la manière dont les désaccords sont gérés au sein d'un système démocratique [7](#page=7).
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# Évolutions et défis contemporains des démocraties
Les démocraties contemporaines font face à des transformations profondes et à des défis multiples, remettant en question leurs structures et leurs modes de fonctionnement traditionnels.
### 3.1 Principales évolutions structurelles des démocraties
Plusieurs tendances structurelles marquent les démocraties actuelles, modifiant l'équilibre des pouvoirs et la dynamique politique.
#### 3.1.1 Renforcement du pouvoir exécutif
On observe une prédominance croissante des projets de loi d'origine gouvernementale, représentant une part significative de la production législative. Des dispositifs constitutionnels permettent aux gouvernements de suppléer le parlement, tels que le recours au décret-loi en Italie, à l'ordonnance en France (article 38 de la Constitution de la IIIe République), la législation déléguée au Royaume-Uni, ou encore les articles 11 et 49-3 de la Constitution de la Ve République française. Cette logique de renforcement du pouvoir du chef du gouvernement est commune aux régimes présidentiels et parlementaires, étant particulièrement marquée au Royaume-Uni, considéré comme un idéal type du régime parlementaire. Le rôle initial de coordinateur du Premier ministre a évolué vers une forme de pouvoir plus vertical et monocratique, influencé par des personnalités comme Margaret Thatcher et Tony Blair. La longévité des mandats contribue également à ce phénomène [5](#page=5).
#### 3.1.2 Médiatisation de la vie politique
Les médias exercent une influence considérable dans la formation de l'opinion politique, marquée par deux tournants majeurs: la généralisation de la télévision et l'avènement des réseaux sociaux et plateformes numériques. Cela se traduit par une augmentation du traitement médiatique de l'activité politique, le développement de stratégies de communication individuelles, et un passage d'une communication gouvernementale vers une communication directe aux candidats présidentiels. Une légitimité médiatique est désormais recherchée avant une légitimité partisane, renforçant ainsi la "présidentialisation" de l'exécutif. Les systèmes de primaires, initialement basés sur les lignes politiques, évoluent vers une sélection basée sur la probabilité d'être élu, souvent influencée par les sondages et un vote "contre" ou "utile" [5](#page=5).
#### 3.1.3 Renforcement de la dimension internationale
La part de l'activité du chef de l'exécutif consacrée à des enjeux internationaux s'accroît, le représentant dans des enceintes comme le Conseil de l'UE, le G7 ou le G20 [5](#page=5).
#### 3.1.4 Complexification des enjeux et interdépendance accrue
Les problèmes contemporains, tels que la production de gaz ou de pétrole de schiste et leur impact environnemental, sont de plus en plus complexes et interconnectés. Il est rare qu'un domaine thématique d'intervention n'affecte pas un autre. Toutes les politiques publiques impliquent désormais plusieurs ministères, nécessitant un rôle de coordination intergouvernementale et un arbitrage au sommet de l'exécutif. L'exécutif s'appuie sur une administration d'État major, indispensable pour traiter des informations complexes et disposer des renseignements nécessaires. Par exemple, l'État-major américain compte entre 1500 et 2000 personnes [5](#page=5).
#### 3.1.5 Développement du "spoil system"
Le "spoil system", ou système des dépouilles, mis en place aux États-Unis en 1828 avec l'élection du président Jackson, est un système de contrôle et nomination politique de l'administration. Aux États-Unis, le président élu nomme environ 5000 personnes à des postes importants et stratégiques du gouvernement fédéral. La France ne pratique pas un "spoil system" généralisé, mais a instauré un système de dépouilles en circuit fermé pour certains postes relevant de la nomination par le Conseil des ministres. En Allemagne, la nomination de 150 fonctionnaires politiques vise à créer une fidélité envers le nommant, renforçant ainsi l'exécutif [5](#page=5).
#### 3.1.6 Renforcement du contrôle juridique de la vie politique
Au-delà des classifications entre régimes présidentiels et parlementaires, un contrôle juridique accru s'exerce sur la vie politique dans l'ensemble des démocraties [5](#page=5).
##### 3.1.6.1 Principe du contrôle du gouvernement et normes supérieures
Cette pratique, ancienne (remontant au Moyen Âge), s'est affirmée notamment avec la Cour Suprême des États-Unis, suite à l'arrêt Marbury v. Madison en 1803 qui a établi la suprématie de la Constitution sur les autres normes. Le contrôle de constitutionnalité s'est développé en Europe après la Seconde Guerre mondiale, avec des modèles convergents entre les Cours Suprêmes (USA, Canada, Australie, Inde) et les Cours constitutionnelles (Allemagne, France, Italie, 22 pays de l'UE). L'intégration progressive du contrôle concret par voie d'exception est également observée [5](#page=5) [6](#page=6).
##### 3.1.6.2 Encadrement juridique de la vie politique
L'encadrement juridique concerne principalement le fonctionnement et le financement des partis politiques, ainsi que la réglementation du lobbying. Le rôle du juge vise à limiter l'influence des parties prenantes privées dans l'élaboration de la règle de droit, afin de garantir que celle-ci serve l'intérêt général et non des intérêts privés ou corporatistes [6](#page=6).
### 3.2 Demande sociale de participation directe et citoyenne
Depuis les années 1970, une demande sociale accrue de démocratie directe et de participation citoyenne à la prise de décisions publiques s'est manifestée. Cette évolution a vu le passage de la démocratie participative dans les années 1990 à la démocratie citoyenne aujourd'hui [6](#page=6).
#### 3.2.1 Facteurs de la demande de participation
Plusieurs facteurs expliquent cette demande :
* La montée du libéralisme culturel et des valeurs anti-autoritaires, aspirant à une reprise du pouvoir par les citoyens [6](#page=6).
* L'accroissement de la compétence politique des citoyens [6](#page=6).
* La montée de l'individualisme [6](#page=6).
* La remise en cause des acteurs et institutions de la démocratie représentative, entraînant une perte de légitimité des représentants [6](#page=6).
* Le sentiment d'impuissance du politique face à la mondialisation et à l'intégration européenne [6](#page=6).
* L'application des principes managériaux rapprochant les citoyens des politiques publiques, exigeant de ces derniers des comptes en termes d'efficacité [6](#page=6).
#### 3.2.2 Manifestations de la demande participative
Cette demande se traduit par :
* La réclamation de nouvelles procédures participatives [6](#page=6).
* La reconnaissance de l'expertise et de la compétence citoyenne [6](#page=6).
* Une demande accrue de transparence et de consultation réelle dans les procédures [6](#page=6).
* La demande de mise en place d'instances de délibération collective (conseil de quartier, consultatif, jury citoyen) [6](#page=6).
* La demande de prise de décision collective, via des budgets participatifs, des agendas 21 locaux, ou l'usage du référendum local ou national [6](#page=6).
Il est constaté que cela constitue une nouvelle forme de légitimation de l'action publique par la qualité de la délibération, les citoyens non-participants pouvant remettre en cause les décisions [6](#page=6).
### 3.3 La question de la localisation du pouvoir dans les régimes démocratiques
La répartition du pouvoir entre différents échelons territoriaux est un élément souvent négligé dans la réflexion politique, marqué par la distinction entre États unitaires et États fédéraux [6](#page=6).
#### 3.3.1 Structures étatiques : unitaire, fédéral, régional
* **États fédéraux:** Il y a un partage des compétences législatives dans certains domaines et une participation au pouvoir législatif fédéral via une représentation dans une chambre haute. Les entités fédérées prévalent sur les autres entités locales [6](#page=6).
* **États unitaires:** Il n'y a pas de partage de souveraineté, et les pouvoirs locaux n'exercent que des compétences réglementaires ou limitées. La tendance est à la centralisation des États en lien avec les grandes crises (Covid, terrorisme, changement climatique). Un exemple est la logique de décentralisation des États unitaires par le transfert et la clarification des compétences, mais en pratique, l'absence de partage de compétences et de fiscalité, ainsi que la situation budgétaire, impactent directement la capacité d'auto-administration des collectivités territoriales, menant à un risque de mise sous tutelle [6](#page=6).
* **États régionaux (Espagne, Italie):** Ces États combinent des éléments des deux types, avec une constitution instaurant des économies à géométrie variable et des négociations permanentes entre les communautés autonomes et le gouvernement central [7](#page=7).
### 3.4 Démocratie par règles majoritaires et démocratie par consensus selon Lijphart
Pour analyser le fonctionnement institutionnel des démocraties, Arend Lijphart a distingué deux modèles: les démocraties par règles majoritaires et les démocraties par consensus [7](#page=7).
#### 3.4.1 Principes démocratiques en cas de désaccord
* **Modèle 1 : Règle majoritaire.** Ce modèle repose sur la primauté de la décision de la majorité.
* **Modèle 2: Démocratie par consensus.** Ce modèle recherche l'accord du plus grand nombre, considérant la règle majoritaire comme un simple détail [7](#page=7).
#### 3.4.2 Critères de classification
Les critères de classification incluent les modalités de compétition partisane et le caractère unitaire ou non du système institutionnel [7](#page=7).
* **Démocraties par règle majoritaire:** Elles s'appliquent à des régimes présidentiels ou parlementaires où l'exécutif domine, mais où le pouvoir législatif n'est pas ou peu contrôlé par une Cour constitutionnelle. Elles fonctionnent de manière centralisée, sur la base d'un scrutin majoritaire et d'un système bipartite, conduisant le parti majoritaire à former un gouvernement unitaire. Les modèles britannique et néo-zélandais en sont souvent des illustrations [7](#page=7).
* **Démocraties par consensus:** La Suisse et la Belgique sont citées comme exemples. Ces démocraties sont décentralisées, multipartites, utilisent le scrutin proportionnel et mettent en place des gouvernements de coalition [7](#page=7).
### 3.5 Pathologies des démocraties contemporaines
L'ouvrage de Fleury (vers 2008) interroge l'état de santé des démocraties, constatant une régression globale. La crise actuelle est analysée comme survenant à "l'âge adulte" de la démocratie, entraînant des "troubles comportementaux" [7](#page=7).
#### 3.5.1 La pathologie de l'individualisme
L'individualisme, identifié dès les débuts par des philosophes comme Locke et des penseurs politiques tels que Robespierre et Tocqueville, est considéré comme un danger pour la démocratie. Tocqueville distinguait l'individualisme de l'individuation, qui est la capacité de la personne à se réaliser sans compromettre la cohésion sociale. L'individualisme contemporain risque de remettre en question l'ordre social et la morale publique. Un libéralisme dépourvu de préoccupations civiques peut se substituer au principe de liberté défendu par la démocratie [7](#page=7) [8](#page=8).
#### 3.5.2 La pathologie de l'identitarisme
Il s'agit du passage d'une société fondée sur l'égalitarisme par la similitude et la citoyenneté, à une société où l'égalitarisme est revendiqué par la différence. Les démocraties cherchent à voir leur citoyenneté s'incarner dans des droits spécifiques, reconnaissant que l'égalité peut coexister avec la différence. Dominique Wolton souligne que les questions de diversité culturelle, de multiculturalisme et d'exception culturelle sont devenues des conditions de la paix. Il est crucial que la tendance identitaire ne devienne pas pernicieuse au point de détruire la cohésion sociale [8](#page=8).
#### 3.5.3 De la tyrannie de la majorité à la tyrannie des minorités
Tocqueville décrivait la tyrannie de la majorité comme une force politique capable de rassembler toutes les forces de la société et de vaincre les résistances. Cette tyrannie peut se manifester par une contrainte des esprits plutôt que des corps. Fleury observe un passage de la tyrannie de la majorité à celle des minorités. Bien qu'il soit positif que les citoyens ne subissent plus la tyrannie de la majorité, il existe un risque de "captation du droit" où les minorités pourraient utiliser les règles existantes pour contourner le principe d'égalité. Le communautarisme, armé du droit, pourrait ainsi développer des logiques de domination politique [8](#page=8).
### 3.6 L'état de la démocratie dans le monde
La seconde moitié du XXe siècle fut considérée comme le "siècle de la démocratie". Cependant, des indicateurs récents montrent un déclin de la démocratie, avec des transitions de régimes démocratiques vers des régimes autoritaires, des coups d'État, et une baisse de l'intensité démocratique au sein des démocraties pluralistes. L'indice de démocratie de *The Economist*, basé sur 60 critères, révèle une dégradation préoccupante. En 2022, seulement 45,3% de la population mondiale vivait en démocratie, un chiffre en baisse, les États-Unis n'étant plus considérés comme une démocratie achevée. Une "hybridation" entre régimes démocratiques et autoritaires, qualifiée de "démocratie illibérale", est également observée. La question du recul de la démocratie, face à la transition de l'autoritarisme vers la démocratie, reste donc centrale [8](#page=8).
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## Erreurs courantes à éviter
- Révisez tous les sujets en profondeur avant les examens
- Portez attention aux formules et définitions clés
- Pratiquez avec les exemples fournis dans chaque section
- Ne mémorisez pas sans comprendre les concepts sous-jacents
Glossary
| Term | Definition |
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| Démocraties pluralistes | Systèmes politiques où les gouvernants sont issus d'élections disputées et où le consensus porte sur les procédures de régulation des conflits, incluant le principe électoral de majorité, la primauté de la loi, et le respect des libertés publiques. |
| Suffrage populaire | Droit de vote accordé à l'ensemble du peuple, son apparition répond à des défis tels que la gestion des divisions au sein des classes dirigeantes et la mobilisation des classes populaires. |
| Citoyenneté civile | Correspond à la protection des libertés individuelles fondamentales, telles que la liberté de culte, d'opinion, d'expression et de réunion, garantissant un État de droit où la puissance publique est limitée par le droit. |
| Citoyenneté politique | Se réfère au débat public, à l'ouverture du vote aux catégories précédemment exclues, et à la garantie du secret du vote, permise par la préexistence de la citoyenneté civile. |
| Citoyenneté sociale | Liée au développement de l'État-providence, elle s'inscrit par l'introduction de droits sociaux et le contrôle du capitalisme, nécessitant la préexistence des citoyennetés civile et politique. |
| Régime parlementaire | Système politique où le gouvernement est politiquement responsable devant une assemblée législative susceptible d'être dissoute, caractérisé par l'interdépendance entre l'exécutif et le législatif. |
| Régime présidentiel | Régime démocratique où le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif jouissent d'une autonomie politique réciproque, sans possibilité de dissolution du Parlement par l'exécutif ni de renversement du gouvernement par le Parlement. |
| Démocratie directe | Système politique où les citoyens exercent directement le pouvoir sans intermédiaire, souvent par le biais de référendums ou d'initiatives populaires. |
| Référendum | Vote par lequel les citoyens sont appelés à se prononcer sur un projet de loi ou une question d'importance nationale, mettant entre parenthèses le système de représentation. |
| Démocratie par règles majoritaires | Type de démocratie caractérisé par une logique de fonctionnement centralisée, basée sur le scrutin majoritaire et un système bi-partisan, où le parti en tête forme un gouvernement unitaire. |
| Démocratie par consensus | Modèle de démocratie privilégiant la recherche d'un accord du plus grand nombre, impliquant la décentralisation, des systèmes multipartites et des gouvernements de coalition. |
| Individualisme | Idéologie ou tendance à la primauté de l'individu sur le groupe social ou la communauté, pouvant représenter un danger pour la démocratie en menaçant la cohésion sociale et la morale publique. |
| Identitarisme | Tendance à privilégier les revendications basées sur l'identité (culturelle, ethnique, religieuse, etc.) comme fondement de la citoyenneté et de la reconnaissance sociale, pouvant mener à une fragmentation de la société. |
| Tyrannie de la majorité | Concept décrivant le risque qu'une majorité utilise son pouvoir pour imposer sa volonté aux minorités, les privant de leurs droits et libertés. |
| Tyrannie des minorités | Phénomène où des groupes minoritaires, par leurs revendications spécifiques et la captation du droit, peuvent potentiellement contourner le principe d'égalité et exercer une forme de domination. |
| Démocratie illibérale | Régime présentant des caractéristiques formelles de démocratie (élections) mais manquant de garanties réelles pour les libertés civiles et les droits fondamentaux, tendant vers l'autoritarisme. |
| Contrôle de constitutionnalité | Mécanisme juridique permettant de vérifier la conformité des lois et des actes législatifs à la Constitution, assurant ainsi la suprématie de la norme constitutionnelle. |
| Spoil system (système des dépouilles) | Pratique politique, particulièrement aux États-Unis, où le président élu procède à la nomination de personnes de confiance à des postes importants de l'administration, souvent en remplacement de fonctionnaires nommés par l'administration précédente. |