Cover
Empieza ahora gratis Droit administratif .pdf
Summary
# La notion et la spécificité du droit administratif
Cette section explore la définition du droit administratif, distinguant les sens organique et matériel de l'administration, et analyse la spécificité du droit administratif comme critère distinctif.
### 1.1 La notion d'administration
L'administration est l'objet du droit administratif, se référant à l'administration publique. Deux définitions principales existent: organique et matérielle (ou fonctionnelle) [1](#page=1).
#### 1.1.1 L'administration au sens organique
Au sens organique, l'administration désigne l'ensemble des organes au sein des personnes morales de droit public (État, collectivités territoriales, établissements publics) qui exercent des activités administratives. Les agents de l'administration sont des personnes physiques, et certains d'entre eux, disposant d'une compétence décisionnaire, sont qualifiés d'autorités administratives (par exemple, un doyen de faculté, un préfet, un ministre) [1](#page=1).
#### 1.1.2 L'administration au sens matériel ou fonctionnel
Au sens matériel ou fonctionnel, l'administration est la fonction ou l'activité administrative elle-même. Elle se définit négativement comme ce qui n'est ni législatif, ni juridictionnel, ni gouvernemental. Le doyen Hauriou la décrit comme ayant pour objet de gérer les affaires courantes du public en ce qui concerne l'exécution des lois et la satisfaction des intérêts généraux. Cette définition va au-delà de la définition organique, car la satisfaction des intérêts généraux implique le maintien de l'ordre et la fourniture de prestations via les services publics [1](#page=1) [2](#page=2).
#### 1.1.3 Distinction entre les sens organique et fonctionnel
Il n'y a pas toujours de parfaite coïncidence entre les deux sens. Généralement, la fonction administrative est exercée par des administrations au sens organique (ex: un doyen exerçant une fonction administrative). Cependant, lorsque la gestion d'un service public est déléguée à une personne privée par une personne publique, la distinction est notable [2](#page=2).
> **Example:** Le service public de l'enlèvement des ordures ménagères peut être assuré par une société privée, ou des parkings souterrains peuvent être gérés par des sociétés comme Vinci. Les organisations de compétitions sportives officielles en France, bien que relevant d'une mission de service public de l'État, sont souvent gérées par des fédérations sportives (personnes morales de droit privé), qui entrent dans l'administration au sens fonctionnel mais pas organique [2](#page=2).
Le champ d'application du droit administratif peut donc dépasser la seule administration au sens organique, car il ne s'applique pas qu'aux personnes publiques [2](#page=2).
### 1.2 L'idée de droit spécifique
La spécificité est un critère essentiel du droit administratif au sens strict. Bien que cette spécificité puisse varier selon les États et les époques, une part de cette spécificité est inhérente à tout droit administratif [2](#page=2).
#### 1.2.1 Le droit administratif stricto sensu comme critère
Le droit administratif stricto sensu n'est pas l'intégralité du droit de l'administration, mais sa partie spécifique. Le droit de l'administration est tantôt régi par des règles de droit privé, et tantôt par des règles propres et spécifiques, qualifiées de règles exorbitantes du droit commun, c'est-à-dire différentes de celles qui s'appliquent à tous [3](#page=3).
Dès lors qu'il est question d'activité matériellement administrative, le droit administratif s'applique, et dans certains cas, des règles exorbitantes [3](#page=3).
#### 1.2.2 Les services publics soumis au droit privé (SPIC)
Il existe des services publics soumis au droit privé et non au droit administratif: les SPIC (Service Public Industriel et Commercial) [3](#page=3).
> **Example:** L'arrêt du Tribunal des Conflits du 22 janvier 1921, "Société commerciale de l'Ouest africain" (dit "Bac d'Eloka"), est fondateur. Dans cette affaire, un bac exploité par la colonie de Côte-d'Ivoire pour transporter personnes et véhicules moyennant un prix a causé un accident. Le Tribunal a jugé que le bac, exploité comme un service de transport rémunéré dans les mêmes conditions qu'une entreprise privée, était un SPIC, relevant du droit privé et du juge judiciaire. Cet arrêt a reconnu pour la première fois l'existence des SPIC, dont les fautes d'exploitation relèvent en principe du droit privé [3](#page=3) [4](#page=4).
#### 1.2.3 L'absence de critère unique
Il n'y a pas de critère unique permettant de déterminer si le droit privé ou le droit administratif doit s'appliquer à une situation donnée de l'administration. Les propositions doctrinales ont tenté d'y répondre [4](#page=4):
* **Proposition du doyen Hauriou:** Le critère serait la puissance publique. Si la fonction administrative est exercée au moyen de prérogatives de puissance publique, on applique le droit public; sinon, le droit privé. Ce critère n'est pas toujours suffisant pour appliquer le droit administratif à une activité administrative [4](#page=4).
> **Example:** L'université de Marseille passe un contrat avec une entreprise privée pour rénover un amphithéâtre. L'université n'utilise pas de prérogative de puissance publique, mais un procédé ordinaire. Selon Hauriou, cela devrait relever du juge judiciaire, mais il s'agit d'un contrat administratif, donc du juge administratif compétent [4](#page=4).
* **Proposition du doyen Duguit (fin XIXe siècle):** Le critère était le service public. Dès lors qu'il y a service public, on applique le droit administratif. Cette proposition ne reflète plus la réalité, comme le prouve l'arrêt "Bac d'Eloka" où un service public pouvait relever du droit privé [4](#page=4) [5](#page=5).
* **Proposition de Marcel Waline:** Le critère serait l'utilité publique. Chaque fois que l'administration agit pour l'utilité publique, on lui applique le droit administratif. Ce critère est trop large car l'administration agit presque toujours pour l'utilité publique [5](#page=5).
Le critère organique (application du droit administratif dès lors que l'administration, personne morale de droit public, agit) ne correspond pas non plus à l'état actuel du droit, car des personnes privées peuvent être soumises au droit administratif [5](#page=5).
En conclusion, il n'existe pas de critère unique pour distinguer l'application du droit administratif ou du droit privé à une activité administrative. Des solutions jurisprudentielles ont été établies au fil du temps pour couvrir la majorité des situations [5](#page=5).
#### 1.2.4 Le contenu essentiel de la spécificité
Le droit privé repose sur l'idée d'égalité et de consentement, où une personne ne peut imposer d'obligation à une autre contre sa volonté. Le droit administratif, par définition, est un droit inégalitaire. Sa spécificité essentielle réside dans sa fonction de conférer à l'administration les moyens de faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers [5](#page=5).
Aucun État ne peut fonctionner sans qu'une administration dispose des moyens juridiques nécessaires pour imposer l'intérêt général, au besoin contre les intérêts particuliers. Le droit administratif confère donc à l'administration des privilèges juridiques, des prérogatives exorbitantes du droit commun (pouvoirs spéciaux), qui lui permettent d'imposer sa volonté [5](#page=5).
> **Example:** L'absence de consentement des riverains à la construction d'un TER ou d'un aéroport près de chez eux illustre la nécessité de ces prérogatives pour le fonctionnement de l'État [5](#page=5).
Jean Rivero a souligné que "l'égalité est un postulat en droit civil, alors que l'administration est gardienne de l'intérêt général" [5](#page=5).
---
# Les caractéristiques du droit administratif français
Le droit administratif français se distingue par son caractère fondamentalement jurisprudentiel et autonome, façonnés par l'histoire et la volonté de concilier l'action de l'État avec les droits des citoyens [9](#page=9).
### 2.1 Le caractère jurisprudentiel
Bien que la jurisprudence soit une source de droit dans toutes les branches du droit, elle constitue la **source fondamentale** du droit administratif français. Les notions clés, telles que le service public, la police administrative, le contrat administratif, et l'acte administratif unilatéral, ainsi que les principes structurants comme la responsabilité administrative, sont majoritairement d'origine jurisprudentielle et ne figurent dans aucun code [6](#page=6).
En droit administratif, la jurisprudence exerce, en plus de ses fonctions d'interprétation et de confrontation des normes, une **fonction de création**: le Conseil d'État crée du droit [7](#page=7).
Cette prédominance de la jurisprudence s'explique par deux raisons principales :
* **Raison historique**: Le droit administratif a été historiquement créé par le Conseil d'État, et non par le législateur [7](#page=7).
* **Raison actuelle**: Malgré l'augmentation des sources textuelles et des codes (comme le Code de la commande publique), la jurisprudence demeure la source principale et fondamentale, les textes existants ne régissant pas toute la matière [7](#page=7).
> **Tip:** Le droit administratif est qualifié de "fondamentalement jurisprudentiel" par le professeur Chapus [6](#page=6).
#### 2.1.1 Avantages et inconvénients du droit jurisprudentiel
* **Avantages** :
* **Qualité du droit**: Il est élaboré par des experts, les juges du Conseil d'État [7](#page=7).
* **Souplesse**: Il peut évoluer sans attendre une réforme législative [7](#page=7).
* **Inconvénients** :
* **Légitimité parfois remise en question**: Car il s'agit d'un droit "fait par le juge" [7](#page=7).
* **Accessibilité difficile** [7](#page=7).
* **Intelligibilité discutable**: Les règles peuvent être complexes et dispersées [7](#page=7).
### 2.2 Le caractère autonome
Le caractère autonome du droit administratif signifie qu'il s'agit d'une branche du droit distincte du droit privé [7](#page=7).
#### 2.2.1 Les modèles de droit administratif
Il existe deux grands modèles de droit administratif dans le monde: le modèle français et le modèle anglo-saxon [7](#page=7).
* **Le modèle français**
Le modèle français se caractérise par un droit administratif autonome et autosuffisant. Lorsque le droit administratif est applicable à un litige, il se suffit à lui-même, excluant l'application du droit privé. Le contentieux relève d'une juridiction spéciale: la juridiction administrative. Ce modèle repose sur un **dualisme juridique** (distinction entre droit privé et droit administratif) et un **dualisme juridictionnel** (coexistence de deux ordres de juridictions: judiciaire et administratif). Ce choix reflète la volonté de donner la priorité à l'intérêt général, l'administration devant être soumise à un droit inégalitaire pour remplir sa mission [8](#page=8).
* **Le modèle anglais**
Le modèle anglais ne reconnaît pas l'autonomie du droit administratif. L'administration est soumise au droit ordinaire, et son contentieux relève des juridictions ordinaires. Le juge ordinaire applique le droit commun à l'administration, avec d'éventuelles règles dérogatoires. Le droit administratif y est considéré comme une simple collection de règles dérogatoires et disparates au sein du droit commun. Il n'y a ni dualisme juridictionnel (un seul ordre de juridiction, **monisme juridictionnel**) ni dualisme juridique (pas de distinction entre droit public et droit privé). Ce modèle privilégie l'égalité de tous devant la loi [8](#page=8).
> **Tip:** Le choix français entre ces deux modèles n'a pas été fait par les autorités politiques, mais par le juge lui-même, à travers la jurisprudence [8](#page=8).
#### 2.2.2 La portée de l'arrêt Blanco
L'arrêt Blanco du Tribunal des Conflits (8 février 1873) est considéré comme l'explication originelle des deux grands caractères du droit administratif français: son caractère jurisprudentiel et son caractère autonome [9](#page=9).
* **Faits**: Une jeune fille, Agnès Blanco, fut gravement blessée par le renversement d'un wagonnet appartenant à une manufacture de tabac de l'État. Son père engagea une action en responsabilité contre l'État, pensant que l'affaire relevait du juge judiciaire sur le fondement du Code civil [9](#page=9).
* **Problème juridique**: Déterminer quel ordre de juridiction saisir, compte tenu de la nature du service public impliqué et de la ressemblance du dommage avec un accident dans une entreprise privée [9](#page=9).
* **Solution du Tribunal des Conflits**: Le Tribunal a décidé que la responsabilité de l'État pour les dommages causés par les personnes qu'il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes établis dans le Code civil pour les rapports de particulier à particulier. Il a affirmé que cette responsabilité a ses règles spéciales, variant selon les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés [9](#page=9).
* **Portée de l'arrêt**: Le Tribunal a écarté l'application du droit civil, impliquant l'application d'un droit spécifique. C'est l'origine du **caractère autonome** du droit administratif français. Par conséquent, il appartient au juge administratif de créer les règles propres à ce droit autonome [9](#page=9).
---
# La police administrative : notion, distinction et régime
Ce sujet aborde la notion de police administrative, ses distinctions fondamentales avec la police judiciaire, ainsi que la diversité de ses formes (générale et spéciale) et son régime juridique [10](#page=10).
### 3.1 La notion de police administrative
La police, au sens matériel en droit administratif, désigne l'activité visant à faire régner l'ordre. Il convient de la distinguer de la police judiciaire [10](#page=10).
#### 3.1.1 Distinction entre police administrative et police judiciaire
Le critère principal de distinction entre la police administrative et la police judiciaire est leur finalité: l'une est préventive, l'autre répressive [11](#page=11).
* **Police administrative:** Vise à prévenir les troubles à l'ordre public. Son action est principalement préventive [11](#page=11).
* **Police judiciaire:** Vise à constater les infractions pénales, rassembler les preuves et arrêter les auteurs en vue de leur sanction par une juridiction pénale. Son action est principalement répressive [11](#page=11).
Cette distinction, bien que basée sur la finalité, peut parfois être complexe à appliquer, notamment lorsqu'une action vise à prévenir une infraction pénale. Dans ces cas, l'opération relève de la police judiciaire, sauf si le but principal est d'éviter un trouble général à l'ordre public, auquel cas elle est qualifiée de police administrative. Des arrêts comme *Consorts Baud* (CE, 1951) et *Dame Noualek* (TC, 1951) ont contribué à cette distinction jurisprudentielle. L'interdiction d'un spectacle pour éviter des troubles à l'ordre public relève de la police administrative (Affaire Dieudonné). Le placement en cellule de dégrisement est également une mesure de police administrative. Inversement, une poursuite armée transforme une opération de police administrative en police judiciaire [11](#page=11) [12](#page=12).
#### 3.1.2 Conséquences juridiques de la distinction
La distinction entre police administrative et judiciaire a des conséquences importantes :
* **Autorités compétentes:** Si les agents peuvent être les mêmes (ex: policiers municipaux), les autorités décisionnelles diffèrent. La police judiciaire est sous l'autorité du parquet, tandis que la police administrative relève de l'autorité administrative (maire, préfet, Premier ministre). Le Président de la République dispose d'un pouvoir de police administrative générale sur tout le territoire. Le Premier ministre peut également exercer des pouvoirs de police administrative, notamment en période exceptionnelle [12](#page=12).
* **Juge compétent:** Les litiges relatifs à la police administrative relèvent du juge administratif, tandis que ceux concernant la police judiciaire relèvent du juge judiciaire [12](#page=12).
* **Exemple:** Manifestant blessé par un tir de flash-ball => juge administratif. Voleur blessé lors de sa fuite => juge judiciaire [13](#page=13).
En cas de dommage résultant à la fois d'une opération de police administrative et judiciaire, le Tribunal des Conflits détermine le juge compétent en fonction de la cause essentielle du dommage. Dans l'affaire *Société Le Profil* (TC, 1978), le préjudice financier résultant d'un vol malgré une escorte policière a été rattaché à la police administrative (la mission d'escorte préventive) [13](#page=13).
Exceptionnellement, le juge judiciaire peut appliquer le droit administratif lorsqu'il est compétent pour un préjudice causé par la police judiciaire, comme dans l'affaire *Trésor public c/ Docteur Giry* (Cass., 1956) [14](#page=14).
#### 3.1.3 La police administrative générale et les polices administratives spéciales
La police administrative n'est pas un bloc monolithique. On distingue la police administrative générale (PAG) de la multitude des polices administratives spéciales (PAS) [14](#page=14).
##### 3.1.3.1 L'élément systématiquement distinctif
* **Fondement textuel:** Les polices administratives spéciales sont toujours organisées par un texte particulier, alors que la PAG ne l'est pas nécessairement [14](#page=14).
* **Champ d'application :**
* **PAG:** Peut s'appliquer à toute personne, toute activité, en tout temps et en tout lieu [14](#page=14).
* **PAS:** A un champ d'application restreint, soit à certaines personnes (étrangers, supporters), soit à certaines activités (pêche, chasse), soit à certains lieux (gares) [14](#page=14).
##### 3.1.3.2 Les éléments potentiellement distinctifs
Les PAS peuvent se distinguer de la PAG par d'autres éléments :
* **Autorité compétente:** Les PAS peuvent conférer des pouvoirs de police à des autorités qui n'en disposent pas normalement [15](#page=15).
* **Exemples:** Président d'université pour les campus, police des autoroutes (ministre de l'Intérieur). Le ministre de l'Intérieur est compétent pour la police des cultes, des étrangers, des armes, du terrorisme, mais l'interdiction des manifestations relève des préfets [15](#page=15).
* **Buts poursuivis:** Si le but commun est de prévenir les atteintes à l'ordre public, les PAS peuvent inclure des finalités que la PAG ne couvre pas [16](#page=16).
* **Composantes de l'ordre public (PAG):** Sécurité publique, tranquillité publique, salubrité publique, respect de la dignité humaine [16](#page=16).
* **Exemples de PAS:** Police de l'affichage et des enseignes (protéger l'esthétisme public). Police de l'eau (protéger l'environnement) [16](#page=16).
* **Procédures d'édiction et d'exécution:** Certaines PAS prévoient des procédures spécifiques ou facilitent l'exécution des mesures [16](#page=16).
* **Exemple:** Police des édifices menaçant ruine: le maire peut prendre un arrêté de péril et faire exécuter les travaux aux frais du propriétaire en cas de non-conformité. La police de l'état d'urgence sanitaire permet des sanctions pénales plus lourdes et l'exécution d'office [16](#page=16) [17](#page=17).
### 3.2 Le régime juridique de la police administrative
Les mesures de police administrative sont soumises à un contrôle juridictionnel strict.
#### 3.2.1 Les règles qui régissent la compétence des autorités de police administrative
La compétence des autorités de police administrative soulève trois questions: l'obligation ou la faculté d'agir, la possibilité de déléguer, et la détermination de l'autorité compétente en cas de concours [17](#page=17).
##### 3.2.1.1 L'obligation d'agir
* **Principe:** Face à une menace ou un risque avéré de trouble à l'ordre public, les autorités de police administrative ont une obligation d'agir. Une carence dans l'exercice de ces pouvoirs est susceptible d'être sanctionnée [18](#page=18).
* **Sanctions :**
* **Responsabilité administrative:** L'inaction ou l'insuffisance d'action causant un préjudice peut entraîner une condamnation de l'administration à verser des dommages et intérêts (ex: CE, 9 nov. 2018, Association La Vie Dejean) [18](#page=18).
* **Refus d'agir illégal:** Dans certains cas, le refus d'agir peut être annulé par le juge par la voie du recours pour excès de pouvoir (ex: CE, 23 oct. 1959, Doublet). Cette jurisprudence s'est élargie pour couvrir les risques portant atteinte à la dignité de la personne humaine, permettant l'usage du référé-liberté (ex: CE, 23 nov. 2015, Association Médecins du Monde) [18](#page=18) [19](#page=19).
##### 3.2.1.2 L'interdiction de déléguer
* **Principe:** Le pouvoir de police administrative, en raison de sa nature régalienne, ne peut pas être délégué à des personnes privées. Le Conseil constitutionnel a consacré ce principe comme inhérent à l'identité constitutionnelle française. Seules certaines tâches matérielles d'exécution peuvent être externalisées [19](#page=19) [20](#page=20).
* **Exemples:** Les radars automatiques (conduite et transmission de données externalisées, mais décision de sanction publique); contrôle des bagages ou visas à l'aéroport par des agents privés sous-traitants [20](#page=20).
* **Ce qui ne peut pas être délégué:** Fonctions de décision, tâches d'exécution indissociables de la mission de police (surveillance de voie publique) [20](#page=20).
* **Ce qui peut être externalisé:** Tâches matérielles, techniques ou accessoires [20](#page=20).
##### 3.2.1.3 La détermination de l'autorité compétente
Il peut y avoir des difficultés lorsque plusieurs autorités semblent compétentes (répartition des compétences entre autorités de PAG, ou concours entre PAG et PAS) [21](#page=21).
* **Répartition des compétences (PAG) :**
* **Principe général:** Maire pour les menaces communales, préfet pour les menaces départementales, Premier ministre pour les menaces nationales [21](#page=21).
* **Cas du respect de la dignité humaine:** Toute autorité de PAG peut intervenir (CE, 27 oct. 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) [21](#page=21).
* **Aggravation des mesures:** Les autorités locales peuvent aggraver les mesures prises par des autorités supérieures, mais pas les alléger (CE, 18 avr. 1902, Commune de Néris-les-Bains; CE, 8 août 1919, Labonne) [22](#page=22).
* **Substitution du préfet au maire:** Le préfet peut se substituer au maire en cas de carence de ce dernier (art. L.2215 CGCT) [22](#page=22).
* **Communes à police étatisée:** Dans certaines communes, le préfet exerce une partie des pouvoirs de PAG. Paris est une commune "super-étatisée" avec le préfet de police comme autorité de principe [22](#page=22).
* **Concours de polices (PAG et PAS) :**
* **Concours entre PAS:** Chaque autorité compétente intervient dans son domaine selon le principe d'indépendance des législations [23](#page=23).
* **Concours entre PAG et PAS:** En principe, c'est l'autorité de PAS qui intervient [23](#page=23).
* **Exclusion totale de la PAG:** Police des antennes relais (CE, 26 oct. 2011, Commune de Saint-Denis), police des OGM (CE, 24 sept. 2012) [24](#page=24).
* **Exclusion de la PAG, sauf urgence:** Police des usines classées dangereuses (CE, 15 janv. 1986, Société PEC-Engineering; CE, 29 sept. 2003, Houillères du Bassin de Lorraine) [24](#page=24).
* **Exclusion de la PAG sauf circonstances locales particulières:** Affaire *Société Les Films Lutetia* (CE, 18 déc. 1959) concernant l'interdiction d'un film pour immoralité. Cette jurisprudence a été réactivée pendant la crise du COVID-19 [24](#page=24).
#### 3.2.2 Les composantes de l'ordre public
L'ordre public est le but poursuivi par la police administrative générale. Il se divise en deux dimensions: matérielle et immatérielle [25](#page=25).
##### 3.2.2.1 L'ordre public matériel
Il vise à protéger la société des désordres matériels. Il comprend trois éléments traditionnels :
* **Sécurité publique:** Protection de l'intégrité physique des individus et des biens. Peut justifier des interventions pour protéger un individu contre lui-même (ex: port de la ceinture de sécurité, port du casque à moto - arrêt *Bouvet de la Maisonneuve*, CE, 1975) [25](#page=25) [26](#page=26).
* **Salubrité publique:** Protection de la santé publique et prévention des risques sanitaires (eau, denrées alimentaires, rues, substances cancérigènes). Ex: interdiction de fumer dans les lieux publics (CE, 19 mars 2016, Mme M.E. GAZ) [26](#page=26) [27](#page=27).
* **Tranquillité publique:** Prévention des troubles excessifs de la vie en société (nuisances sonores, attroupements) [27](#page=27).
💡 Traditionnellement, la police administrative générale n'intervenait que pour protéger les individus les uns contre les autres, et non contre eux-mêmes. Cette conception a évolué [27](#page=27).
##### 3.2.2.2 L'ordre public immatériel
* **Respect de la dignité de la personne humaine:** C'est la principale composante immatérielle reconnue de manière stable [28](#page=28).
* **Consécration:** Arrêt *Commune de Morsang-sur-Orge* (CE, Ass., 27 oct. 1995) relatif au lancer de nains. Le juge a reconnu la dignité humaine comme quatrième composante de l'ordre public, indépendamment d'un désordre matériel [28](#page=28).
* **Portée:** Permet aux autorités d'agir pour protéger la dignité, même en l'absence de trouble matériel manifeste [28](#page=28).
* **Valeurs et principes républicains:** La jurisprudence s'est légèrement élargie pour inclure la prévention de "graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de la dignité de la personne humaine". (Affaire Dieudonné, CE, 9 janv. 2014) [29](#page=29).
* **Limites:** L'intervention ne peut se fonder uniquement sur la "moralité républicaine" sans la dignité humaine. Les mesures doivent être nécessaires et proportionnées [29](#page=29).
* **Moralité publique :**
* **Absence de consécration en tant que composante autonome:** Le Conseil d'État n'a jamais consacré la moralité publique comme une composante de l'ordre public au même titre que les trois éléments matériels et la dignité humaine [31](#page=31).
* **Tolérance jurisprudentielle:** Certaines décisions d'espèce ont toléré l'intervention de la police au nom de la moralité publique, souvent dans des contextes locaux particuliers ou en lien avec la dignité humaine [31](#page=31).
* **Exemples:** Réglementation de la tenue des baigneurs (CE, 30 mai 1930, Beaugé), limitation de la prostitution (CE, 11 déc. 1946, Dames Hubert et Crébelle), interdiction de sex-shops près d'écoles (CE, 8 juin 2005, Commune de Houilles) [31](#page=31).
* **Jurisprudence *Société Les Films Lutetia*:** Le maire peut interdire la projection d'un film si son caractère immoral, compte tenu de circonstances locales, est susceptible de porter atteinte à l'ordre public. Cette jurisprudence est d'application très restreinte [31](#page=31).
* **Laïcité:** La laïcité ne constitue pas une composante immatérielle de l'ordre public justifiant une mesure de police administrative générale. Les arrêtés anti-burkini jugés légaux l'étaient au nom de la sécurité ou de la tranquillité publiques, et non de la laïcité (CE, 26 août 2016, affaire du burkini) [30](#page=30).
#### 3.2.3 Le contrôle juridictionnel des mesures de police administrative
Le contrôle exercé par le juge administratif vise à concilier la protection de l'ordre public et le respect des libertés fondamentales.
##### 3.2.3.1 Interdiction des régimes d'autorisation préalable
Sauf fondement textuel particulier, les mesures de police administrative qui instaureraient un régime d'autorisation préalable sont illégales par nature, car elles portent atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ou à d'autres libertés [32](#page=32).
* **Principe:** Seule la loi peut limiter l'exercice d'une liberté par la création d'une autorisation préalable [32](#page=32).
* **Exemple:** Arrêté du préfet soumettant l'exercice de la profession de photographe-filmeur à autorisation préalable est illégal (CE, Ass., 22 juin 1951, *Daudignac*) [32](#page=32).
##### 3.2.3.2 Le principe de proportionnalité et le contrôle maximum
La légalité d'une mesure de police administrative repose sur la conciliation entre l'ordre public et le respect des libertés. Cette conciliation doit être réalisée de manière proportionnée. Le juge administratif exerce un contrôle qualifié de "maximum" [33](#page=33).
* **Fondement:** Les conclusions du commissaire du gouvernement Louis Corneille dans l'arrêt *Baldy* (CE, 10 août 1917): "La liberté est la règle et la restriction de police l'exception." [34](#page=34) [36](#page=36).
* **Critères du contrôle de proportionnalité :** La mesure doit être :
* **Nécessaire:** Répondre à un besoin réel et avéré d'ordre public [35](#page=35) [36](#page=36).
* **Adaptée:** Concrètement apte à atteindre l'objectif recherché [35](#page=35) [36](#page=36).
* **Proportionnée:** Ne pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire, sans atteinte excessive à la liberté [35](#page=35) [36](#page=36).
* **Contrôle extrinsèque:** Le juge vérifie non seulement la proportionnalité intrinsèque de la mesure, mais aussi l'existence de mesures alternatives moins attentatoires aux libertés mais tout aussi efficaces (CE, 19 mai 1933, *Benjamin*). L'interdiction totale d'une réunion, si des mesures de police pouvaient suffire, est disproportionnée [34](#page=34) [37](#page=37).
* **Application :**
* **En période normale:** Le contrôle est particulièrement strict et exige un haut degré de justification et de nécessité (CE, Ass., 26 oct. 2011, Association pour la promotion de l'image) [36](#page=36).
* **En période de circonstances exceptionnelles:** Le niveau de proportionnalité exigé est allégé [38](#page=38).
* **Mesures radicales:** Plus une mesure est générale, absolue, radicale ou étendue dans le temps et l'espace, plus elle a de chances d'être jugée disproportionnée [38](#page=38).
* **Mesure disproportionnée:** Elle est excessive, va au-delà de ce qui est nécessaire, ou ne tient pas compte de mesures alternatives plus respectueuses des libertés [38](#page=38).
> **Tip :** Le contrôle de proportionnalité est le cœur du contrôle de légalité des mesures de police administrative. Le juge administratif est très vigilant quant à la justification et à la nécessité des restrictions apportées aux libertés.
> **Example:** L'interdiction d'un spectacle antisémite (*Dieudonné*) a été jugée nécessaire et proportionnée car aucune autre mesure (police, encadrement) n'aurait pu empêcher les propos discriminatoires, relevant de sanctions pénales. À l'inverse, l'interdiction totale d'une conférence (affaire *Benjamin*) a été jugée disproportionnée car le renforcement de la présence policière aurait pu suffire à maintenir l'ordre [37](#page=37) [38](#page=38).
---
# Le service public : identification, distinction SPA/SPIC et fonctionnement
Voici une synthèse détaillée sur le service public : identification, distinction SPA/SPIC et fonctionnement.
## 4. Le service public : identification, distinction SPA/SPIC et fonctionnement
Cette partie explore la définition du service public, les critères permettant de l'identifier, la différenciation entre Services Publics Administratifs (SPA) et Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC), ainsi que les principes qui régissent leur fonctionnement [39](#page=39) [45](#page=45).
### 4.1 L'identification du service public
L'identification du service public repose sur la combinaison de deux critères essentiels: un critère finaliste (le but de l'activité) et un critère organique (le lien avec une personne publique) [39](#page=39) [40](#page=40).
#### 4.1.1 Le critère finaliste : l'intérêt général
Le critère finaliste examine si l'activité vise la satisfaction de l'intérêt général. L'intérêt général est une notion d'une grande souplesse, dont le contenu évolue dans le temps et l'espace, car il vise à satisfaire les besoins collectifs changeants [40](#page=40) [42](#page=42).
* **Le rôle du juge et l'intention des pouvoirs publics:** Le juge administratif estime qu'il n'est pas de son rôle de définir l'intérêt général, mais plutôt de déceler l'intention des pouvoirs publics. Il existe une tendance à présumer qu'une activité est d'intérêt général dès lors que l'administration s'y intéresse [41](#page=41) [42](#page=42) [43](#page=43).
* **Activités exclues de la qualification de service public :**
* **Les jeux d'argent:** La jurisprudence a évolué, considérant initialement que leur organisation ne pouvait servir l'intérêt général en raison des risques d'addiction. Cependant, la gestion des casinos peut être considérée comme un service public si elle intègre des missions de développement culturel, touristique et économique [41](#page=41) [42](#page=42) [43](#page=43).
* **La gestion par les personnes publiques de leur domaine privé:** L'activité de gestion des biens relevant du domaine privé d'une personne publique n'est pas qualifiée de service public [41](#page=41) [43](#page=43).
#### 4.1.2 Le critère organique : le lien avec une personne publique
Ce critère exige que l'activité soit maîtrisée ou assurée par une personne publique [39](#page=39) [43](#page=43).
* **Gestion directe par une personne publique:** Lorsque l'activité est gérée directement par une personne publique, le critère organique est considéré comme rempli [44](#page=44).
* **Gestion par une personne privée :** Les difficultés apparaissent lorsque l'activité, sans être gérée directement par une personne publique, entretient un lien avec elle.
* **Arrêt Narcy (CE, 28 juin 1963) :** Deux critères sont exigés pour que le lien organique soit suffisant :
1. La personne privée doit s'être vu confier des **prérogatives de puissance publique (PPP)**.
2. Elle doit être soumise au **contrôle de l'administration** [44](#page=44).
* **Arrêt APREI (CE, 22 février 2007):** Cette jurisprudence assouplit les critères de Narcy. Une personne privée peut assurer une mission de service public même sans PPP si un **faisceau d'indices** (objet de l'activité, conditions de création, d'organisation, de fonctionnement, obligations imposées, avantages reçus) démontre l'intention du pouvoir public de lui confier cette mission [44](#page=44) [45](#page=45).
#### 4.1.3 Les cas simples et complexes
* **Cas simples:** L'activité est qualifiée de service public par un texte législatif ou réglementaire [40](#page=40) [45](#page=45).
* **Cas complexes:** En l'absence de qualification textuelle, le juge analyse les deux critères (finaliste et organique). La méthode générale consiste à déceler l'intention des pouvoirs publics de faire de l'activité un service public [40](#page=40) [45](#page=45).
> **Tip:** Le critère organique est souvent le plus déterminant dans l'identification du service public [43](#page=43).
### 4.2 La distinction entre les SPAs et les SPICs
La distinction entre Services Publics Administratifs (SPA) et Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC) est fondamentale et a des conséquences sur le régime juridique applicable [45](#page=45) [46](#page=46).
#### 4.2.1 Origine de la distinction : l'arrêt Société commerciale de l'Ouest africain (TC, 22 janvier 1921)
Cet arrêt, également connu sous le nom de l'arrêt du Bac d'Eloka, a opéré un revirement majeur. Il a jugé que lorsqu'une personne publique gère un service dans des conditions analogues à celles d'une entreprise privée (mode de fonctionnement commercial, concurrentiel, redevances des usagers), le litige relève de la juridiction judiciaire et non administrative [46](#page=46) [47](#page=47).
#### 4.2.2 Les critères de distinction (Arrêt USIA, TC, 16 novembre 1956)
Ces critères sont cumulatifs. Si l'un d'eux fait défaut, le service reste un SPA. Le SPIC est une exception, le SPA étant le principe [47](#page=47).
1. **L'objet du service :**
* **SPA:** Activité de nature administrative (réglementation, sécurité, social), non rentable par nature, ou liée à la souveraineté de l'État (activités régaliennes) [47](#page=47) [48](#page=48).
* **SPIC:** Activité économique ou commerciale qu'une entreprise privée pourrait exercer spontanément et qui est potentiellement rentable [48](#page=48).
2. **L'origine des ressources :**
* **SPA:** Principalement financé par des fonds publics (budget, impôts, subventions) [47](#page=47) [49](#page=49).
* **SPIC:** Principalement financé par les redevances versées par les usagers, selon une logique de paiement direct pour service rendu [47](#page=47) [49](#page=49).
3. **Les modalités de fonctionnement :**
* **SPA:** Gestion selon des procédés administratifs (procédures, hiérarchie, comptabilité publique, agents de droit public/fonctionnaires) [47](#page=47) [49](#page=49).
* **SPIC:** Gestion selon des méthodes commerciales proches du droit privé (publicité, recherche de clientèle, compétitivité, agents de droit privé, comptabilité privée) [47](#page=47) [49](#page=49) [50](#page=50).
> **Tip:** La loi peut expressément qualifier une activité de SPA ou de SPIC, rendant l'application des critères jurisprudentiels inutile [47](#page=47).
> **Example:** La gestion des déchets peut être un SPA si financée par une taxe (TEOM) ou un SPIC si financée par une redevance calculée sur l'usage [49](#page=49).
> **Example:** Un centre aquatique peut être qualifié de SPIC si son objet est commercial, ses ressources proviennent des usagers, et ses modalités de fonctionnement sont commerciales. Cependant, si le personnel est constitué de fonctionnaires et la gestion relève de la comptabilité publique, il peut être requalifié en SPA [50](#page=50).
> **Example:** Le service public des pompes funèbres, longtemps considéré comme un SPA en raison du monopole, peut aujourd'hui être qualifié de SPIC si les trois critères sont réunis suite à l'ouverture à la concurrence et au financement par redevances [51](#page=51).
#### 4.2.3 Les conséquences de la distinction
La distinction entre SPA et SPIC a des implications importantes :
* **Régime juridique applicable:** Droit public et compétence du juge administratif pour les SPA; droit privé et compétence du juge judiciaire pour les SPIC [52](#page=52).
* **Statut du personnel:** Agents de droit public (fonctionnaires ou contractuels administratifs) pour les SPA; agents de droit privé (salariés) pour les SPIC, sauf pour le directeur et le comptable [52](#page=52) [56](#page=56).
* **Régime de responsabilité:** Responsabilité administrative pour les SPA; responsabilité civile de droit commun pour les SPIC [52](#page=52).
> **Tip:** Les usagers d'un SPA sont dans une situation statutaire, leurs droits et obligations découlant de la loi. Les usagers d'un SPIC sont dans une situation contractuelle de droit privé [52](#page=52) [53](#page=53) [54](#page=54).
* **Exception au bloc de compétence judiciaire pour les SPIC:** Le contentieux de la légalité des règlements édictés par le gestionnaire d'un SPIC, concernant l'organisation et le fonctionnement du service, relève du juge administratif [55](#page=55).
### 4.3 Le régime juridique du service public
Le fonctionnement de tous les services publics, qu'ils soient SPA ou SPIC, est régi par trois grands principes, connus sous le nom de "lois de Rolland" [59](#page=59).
#### 4.3.1 Les lois de Rolland
1. **La loi de continuité:** Le service public ne doit pas être interrompu de manière anormale [59](#page=59).
* **Conciliation avec le droit de grève:** Le droit de grève, consacré constitutionnellement, doit être concilié avec le principe de continuité. Cette conciliation s'opère par la loi ou, à défaut, par les autorités compétentes (direction du service) en respectant les objectifs légitimes et la proportionnalité. L'objectif est d'assurer un service minimum lorsque nécessaire [60](#page=60) [61](#page=61).
2. **La loi de changement (mutabilité):** Le service public doit pouvoir s'adapter aux évolutions de l'intérêt général, ce qui peut impliquer des modifications, voire sa suppression (sauf pour les services publics obligatoires). Ce principe permet à la personne publique d'imposer des évolutions à son délégataire, même si le contrat initial n'en dispose pas [61](#page=61) [62](#page=62).
3. **Le principe d'égalité:** Ce principe, plus large que la non-discrimination, oblige à traiter de manière identique les personnes se trouvant dans une situation similaire [63](#page=63).
* **Admissibilité des différences de traitement :**
* Lorsque les usagers ne sont pas dans une situation similaire, objectivement appréciable et en rapport avec l'objet du service [63](#page=63) [64](#page=64).
* Lorsque l'intérêt général commande un traitement différent, pourvu qu'il soit directement en rapport avec l'objet de la norme et non manifestement disproportionné [64](#page=64).
* **Critères formellement prohibés:** Les distinctions fondées sur l'origine, la race ou la religion sont illégales [64](#page=64) [65](#page=65).
#### 4.3.2 Les autres principes
* **Le principe de neutralité du service public:** Il interdit d'associer le service public à toute opinion politique, philosophique ou religieuse. Il s'applique aux agents (qui ne doivent pas manifester leurs convictions religieuses pendant leurs fonctions) et aux usagers, bien que pour ces derniers, la liberté religieuse soit plus large et puisse être limitée si elle trouble le bon fonctionnement du service ou porte atteinte aux droits d'autrui [65](#page=65) [66](#page=66) [67](#page=67) [68](#page=68).
* **Dimension politique:** Interdiction de manifester des convictions politiques [65](#page=65).
* **Dimension religieuse:** Strictement appliquée aux agents, elle est plus souple pour les usagers, sauf exceptions légales (port de signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires publics) [66](#page=66) [67](#page=67).
* **Absence de principe de gratuité:** Le service public n'est pas nécessairement gratuit. La gratuité ne s'applique que si un texte le prévoit expressément (comme l'école publique). Les redevances versées ne doivent pas dépasser la valeur de la prestation [68](#page=68) [69](#page=69).
---
# Les actes administratifs unilatéraux
Les actes administratifs unilatéraux sont l'expression d'une seule volonté qui peut créer des droits et des obligations à l'égard d'autrui constituant ainsi une prérogative de puissance publique. Leur identification, classification, régime juridique, ainsi que les procédures de leur élaboration et de leur disparition font l'objet d'une analyse détaillée [70](#page=70).
### 5.1 La notion d'acte administratif unilatéral
L'identification d'un acte administratif unilatéral présente deux difficultés: déterminer quels actes administratifs sont unilatéraux et, une fois identifiés, les classer dans une catégorie spécifique [97](#page=97).
#### 5.1.1 Identification de l'acte administratif unilatéral
Trois termes composent cette notion: "acte", "unilatéral" et "administratif" [97](#page=97).
* **Acte**: Il s'agit d'actes juridiques visant à produire des effets de droit. Les arrêtés municipaux insolites, comme interdire de tomber malade ou d'atterrir aux soucoupes volantes, ne sont pas des actes juridiques s'ils n'ont pas d'effet de droit [97](#page=97) [98](#page=98).
* **Unilatéral**: Un acte unilatéral naît d'une seule volonté (individuelle ou collective) et peut créer des droits et obligations à l'égard d'autrui. Il existe des actes administratifs à caractère mixte, contractuel et unilatéral, notamment dans les contrats de délégation de service public contenant des clauses réglementaires relatives à l'organisation et au fonctionnement du service [98](#page=98).
* **Administratif**: Les choses se compliquent car tous les actes unilatéraux émanant de personnes publiques ne sont pas forcément administratifs, et inversement, certains actes unilatéraux de personnes privées peuvent être qualifiés d'administratifs [99](#page=99).
* **Les actes unilatéraux non administratifs des personnes publiques** :
* **Actes relevant de la compétence du juge judiciaire** :
* Actes de gestion du domaine privé des personnes publiques. Par exemple, la gestion du domaine privé par un maire relève du droit privé [99](#page=99).
* Actes individuels pris par les gestionnaires de SPIC (Services Publics Industriels et Commerciaux), même lorsque le gestionnaire est une personne publique. Un refus d'une demande par un maire, dans ce cadre, est un acte de droit privé [100](#page=100).
* **Actes émanant d'autorités législatives ou judiciaires** :
* En principe, les lois du Parlement et les décisions des tribunaux sont des actes administratifs législatifs ou judiciaires [100](#page=100).
* Cependant, certains actes unilatéraux d'autorités législatives ou judiciaires sont qualifiés d'actes administratifs unilatéraux lorsqu'ils relèvent de la fonction administrative. Exemples :
* La décision du président de l'Assemblée nationale d'organiser un marché public [100](#page=100).
* Les notes attribuées par des chefs de juridiction aux magistrats et greffiers [100](#page=100).
* La décision d'un procureur de refuser l'effacement d'une mention au casier judiciaire, qui relève de l'organisation du service public judiciaire .
* **Les actes de gouvernement**: Ces actes de l'exécutif (Président, Premier ministre, ministre des Affaires étrangères) se rattachent à la fonction gouvernementale plutôt qu'à la fonction administrative. Ils bénéficient d'une quasi-immunité juridictionnelle, n'étant pas susceptibles de recours en annulation. Les critères traditionnels du "mobile politique" ont été abandonnés. Le Conseil d'État les identifie empiriquement par leur rattachement à deux domaines :
* Les rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels (ex: décret de dissolution de l'Assemblée nationale) .
* La conduite des relations internationales de la France (ex: décision de reprendre les essais nucléaires) .
Des évolutions récentes tendent à permettre, dans des cas très limités, d'engager la responsabilité de l'État pour des actes de gouvernement liés aux relations internationales, ou à exercer un contrôle minimum de légalité en cas d'atteinte grave aux droits fondamentaux .
* **Les actes administratifs émanant de personnes privées**: En principe, ces actes sont de droit privé. Cependant, certains actes de personnes privées gérant un service public peuvent être qualifiés d'actes administratifs unilatéraux .
* **Personnes privées gérant un SPA (Service Public Administratif)**: L'acte doit être pris pour les besoins du service public délégué et révéler la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique (arrêt *Manier*, CE, 7 janvier 1961). Exemples: sanctions disciplinaires prononcées par des fédérations sportives délégataires .
* **Personnes privées gérant un SPIC (Service Public Industriel et Commercial)**: L'acte doit être réglementaire et avoir pour objet l'organisation du service public délégué (arrêt *Époux Barbier*, TC, 15 janvier 1968) .
#### 5.1.2 La classification des actes administratifs unilatéraux
Le Code des relations entre le public et l'administration (CRPA) distingue les actes décisoires des actes non décisoires. Au sein des actes décisoires, on trouve les actes réglementaires, les actes individuels et les actes ni réglementaires ni individuels. Des distinctions supplémentaires existent: entre actes explicites et implicites, et entre actes faisant grief et actes ne faisant pas grief .
* **Actes décisoires et actes non décisoires**: La majorité des AAU sont des décisions, mais certains, comme les avis, sont non décisoires .
* **Actes faisant grief et actes ne faisant pas grief**: L'expression "faire grief" désigne les actes susceptibles de recours en annulation devant le juge administratif .
* Un AAU faisant grief est en principe décisoire .
* Inversement, un AAU ne faisant pas grief est en principe non décisoire .
Cependant, certains actes non décisoires peuvent faire grief (actes de droit souple) tandis que certains actes décisoires ne font pas grief (mesures d'ordre intérieur) .
* **Actes de droit souple**: Ce sont des mesures visant à modifier ou orienter les comportements sans créer directement de droits ou obligations, mais présentant une certaine formalisation. Ils peuvent faire grief s'ils sont impératifs ou constituent des lignes directrices, tels que les circulaires, instructions ou recommandations susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou situations .
* **Mesures d'ordre intérieur (MOI)**: Ce sont des actes nécessaires à la vie interne de l'administration, d'une importance jugée trop faible pour justifier un recours. Exemples: emploi du temps d'un enseignant punitions mineures infligées aux élèves. Le champ des MOI a été considérablement réduit par la jurisprudence (arrêts *Marie* et *Hardouin*, CE, 1995; arrêts du 14 décembre 2007: *Boussouar*, *Planchenault*, *Payet*). L'analyse de leur caractère de MOI peut être in abstracto et in concreto. Elles échappent au recours, sauf si un moyen invoque la violation du principe de non-discrimination ou du harcèlement moral (CE, 25 septembre 2015, *Madame B*; CE, 8 mars 2023) .
### 5.2 Le régime des actes administratifs unilatéraux
Le droit administratif repose sur l'idée que l'administration dispose de privilèges pour imposer ses intérêts, mais bénéficie aussi de garanties .
#### 5.2.1 Le privilège du préalable
Ce privilège, dû à Maurice Hauriou, signifie que l'administration peut prendre des décisions exécutoires sans autorisation préalable du juge .
* **Caractère exécutoire**: C'est une règle fondamentale du droit public, nécessaire au bon fonctionnement de l'État. Les administrés et agents publics ont un devoir d'obéissance, même si l'acte est contesté, car les recours n'ont pas d'effet suspensif sauf référé-suspension. Une désobéissance est possible si l'ordre est manifestement illégal et porte atteinte à un droit essentiel ("baïonnette intelligente"). L'administration ne peut saisir le juge pour lui demander de faire ce qu'elle peut faire elle-même .
* **Absence de caractère coercitif**: En principe, l'administration ne peut recourir à la force sans autorisation judiciaire. Des exceptions existent: lorsqu'une loi le prévoit expressément, en cas d'urgence ou péril imminent, ou lorsqu'aucune autre voie de droit n'existe .
#### 5.2.2 La procédure administrative non contentieuse
Cette procédure régit l'élaboration des AAU. Les administrés bénéficient de garanties croissantes .
* **La motivation des actes administratifs unilatéraux**: Le principe général du droit n'impose pas la motivation, mais des textes comme la loi du 11 juillet 1979 (codifiée à l'article L. 211-2 CRPA) l'imposent pour de nombreuses décisions individuelles défavorables .
* **Le respect du contradictoire**: Le principe du contradictoire impose à l'intéressé de connaître les griefs, d'obtenir communication de son dossier et de présenter ses observations. Ce principe est codifié à l'article L. 122-2 CRPA et étendu à toutes les mesures défavorables prises en considération de la personne, même si elles ne sont pas des sanctions. Une procédure contradictoire a posteriori est possible pour les mesures conservatoires si la loi le prévoit .
* **Les procédures consultatives**: Il existe des avis facultatifs et obligatoires. Lorsque l'avis est obligatoire, le pouvoir de décision de l'administration est restreint. Si l'avis est conforme, l'administration est encore plus liée. L'absence d'un avis conforme peut constituer un vice d'incompétence .
* **Les procédures participatives**: La participation du public à l'élaboration des décisions administratives n'est pas un principe général et s'impose uniquement si un texte le prévoit (ex: Charte de l'environnement pour les décisions ayant une incidence sur l'environnement, enquêtes publiques) .
#### 5.2.3 L'entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux
L'entrée en vigueur marque le moment où l'AAU déploie ses pleins effets et devient opposable .
* **Existence vs Entrée en vigueur**: Un acte existe dès sa signature .
* **Principe de non-rétroactivité**: Les AAU ne peuvent en principe pas être rétroactifs et ne s'appliquent pas aux situations définitivement constituées avant leur entrée en vigueur .
* **Entrée en vigueur des actes réglementaires et d'espèce**: Ils entrent en vigueur le lendemain de leur publication ou affichage. Certains actes doivent être transmis au préfet pour devenir exécutoires .
* **Opposabilité des décisions individuelles**: Une décision expresse est opposable dès sa notification au destinataire. Pour les décisions implicites, l'opposabilité résulte de l'écoulement du temps .
#### 5.2.4 La disparition des actes administratifs unilatéraux
Un AAU peut disparaître de l'ordonnancement juridique par voie administrative, juridictionnelle, ou sous l'effet du temps .
* **La disparition administrative** :
* **Abrogation**: Suppression pour l'avenir, sans remise en cause des effets passés. Elle peut être explicite ou implicite .
* **Retrait**: Suppression avec effet rétroactif, l'acte étant réputé n'avoir jamais existé .
* **La disparition juridictionnelle** :
* **Annulation**: Suppression par le juge, produisant en principe un effet rétroactif, mais le juge peut moduler ses effets dans le temps. Le juge peut aussi constater l'inexistence de l'acte s'il est entaché d'un vice d'une gravité exceptionnelle .
* **La disparition sous l'effet du temps** :
* **Caducité ou péremption**: L'acte disparaît en raison du non-respect d'un délai ou de la survenance d'un événement .
#### 5.2.5 Les conditions du retrait et de l'abrogation
L'autorité compétente est en principe celle qui a édicté l'acte (règle du parallélisme des compétences), sauf pouvoir hiérarchique. Les conditions dépendent de la nature de l'acte (créateur de droit ou non) .
* **Distinction entre actes créateurs de droit et non créateurs de droit** :
* Les actes réglementaires ne sont jamais considérés comme créateurs de droit .
* Les décisions individuelles sont créatrices de droit si elles accordent un avantage administratif ou financier, sauf exceptions (nominations discrétionnaires, autorisations de police, décisions obtenues par fraude, etc.). Certains actes négatifs peuvent aussi être créateurs de droit .
* **Suppression des actes créateurs de droit**: Ils ne peuvent être abrogés ou retirés que s'ils sont illégaux et dans un délai de quatre mois. Au-delà, ils sont protégés .
> **Tip:** L'apprentissage des arrêts importants, notamment ceux mentionnés dans les programmes (GAJA), est essentiel. L'année de l'arrêt est souvent suffisante pour la validation .
---
# Les contrats administratifs
Les contrats administratifs constituent une catégorie de contrats passés par l'administration, se distinguant des contrats de droit privé, et sont régis par un régime juridique spécifique qui leur confère un caractère original [72](#page=72).
### 6.1 La qualification des contrats administratifs
La qualification d'un contrat comme étant administratif repose sur des critères définis par la loi ou, en l'absence de disposition légale, par la jurisprudence [72](#page=72).
#### 6.1.1 La qualification jurisprudentielle
En l'absence de détermination légale, la jurisprudence utilise deux critères cumulatifs pour qualifier un contrat d'administratif: un critère organique et un critère matériel [73](#page=73).
##### 6.1.1.1 Le critère organique
Ce critère examine les parties contractantes [73](#page=73).
* **Principe:** Pour qu'un contrat soit administratif, il faut qu'au moins une personne publique y soit partie. Un contrat entre deux personnes privées ne peut être administratif, même si l'une d'elles est liée à l'administration [73](#page=73).
* **Exceptions :** Certaines personnes privées peuvent être considérées comme agissant pour le compte d'une personne publique :
* **Personnes privées transparentes:** Il s'agit d'une personne privée, souvent une association créée et contrôlée par une personne publique, qui lui procure l'essentiel de ses ressources. Dans ce cas, la personne publique est considérée comme étant virtuellement partie au contrat, la personne privée n'ayant quasiment aucune autonomie [73](#page=73) [74](#page=74).
* **Personnes privées mandataires:** Une personne privée peut être regardée comme une personne publique si elle agit en son nom et à sa place, sur la base d'un mandat (exprès ou implicite). La théorie du mandat implicite, née en 1975, a vu son champ d'application se réduire considérablement, notamment avec l'exclusion de son application aux personnes privées concessionnaires. L'aéroport de Paris, agissant pour le compte de l'État dans le cadre de missions de sécurité aérienne, a été considéré comme agissant en vertu d'un mandat administratif implicite [74](#page=74) [75](#page=75) [76](#page=76).
* **Concessionnaires autoroutiers (cas en partie disparu):** Pendant longtemps, les contrats conclus par des concessionnaires privés d'autoroutes pour les besoins de construction, d'exploitation ou d'entretien étaient considérés comme administratifs en raison de leur objet (jurisprudence *Société Entreprise Peyrot*, 1963). Cependant, un revirement de jurisprudence en 2015 avec l'arrêt *Rispal* a mis fin à cette exception pour les contrats conclus après le 9 mars 2015 [76](#page=76) [77](#page=77).
##### 6.1.1.2 Le critère matériel
Ce critère examine le contenu du contrat et peut être satisfait de trois manières: par les clauses, par l'objet, ou par le régime du contrat [77](#page=77) [78](#page=78).
* **Les clauses du contrat:** Un contrat est administratif s'il contient une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun [78](#page=78).
* **Définition de la clause exorbitante:** Initialement définie négativement comme une clause étrangère par sa nature aux droits et obligations susceptibles d'être librement consentis dans le cadre des lois civiles et commerciales le Tribunal des conflits a apporté une définition positive en 2014: une clause exorbitante est une clause qui, par les prérogatives qu'elle confère à la personne publique contractante dans l'intérêt général, implique que le contrat relève du régime des contrats administratifs. Pour être exorbitante, une clause doit remplir deux conditions cumulatives [79](#page=79):
1. **Condition organique:** Elle doit conférer des pouvoirs particuliers à l'administration contractante (pouvoir de direction, de contrôle, de sanction, de résiliation ou de modification unilatérale). Les pouvoirs conférés au cocontractant privé ne peuvent jamais être qualifiés d'exorbitants [79](#page=79) [80](#page=80).
2. **Condition finaliste:** Le pouvoir conféré à l'administration doit poursuivre une finalité d'intérêt général [80](#page=80).
* **Exception:** Les contrats conclus par des personnes publiques gestionnaires d'un service public industriel et commercial (SPIC) avec leurs usagers sont toujours des contrats de droit privé, même s'ils comportent des clauses exorbitantes du droit commun, en raison du bloc de compétence attribué au juge judiciaire [78](#page=78).
* **L'objet du contrat:** Le contrat est administratif s'il est en lien avec l'exécution d'un service public. Plusieurs situations sont visées [81](#page=81):
* **Contrats confiant l'exécution même d'un service public à un tiers:** Par exemple, les contrats de délégation de service public (DSP) sont désormais des contrats administratifs par détermination légale [81](#page=81) [82](#page=82).
* **Contrats constituant une modalité de l'exécution d'un service public:** Il s'agit de contrats qui sont une condition nécessaire à l'exécution d'une mission de service public par l'administration [82](#page=82) [83](#page=83).
* **Contrats de recrutement dans les services publics administratifs (SPA) gérés par des personnes publiques:** Ces contrats sont administratifs, quel que soit le poste ou la nature des fonctions [83](#page=83).
* **Contrats faisant participer le cocontractant à l'exécution d'un service public:** La qualification dépend de l'association suffisante du cocontractant à l'exécution du service public [83](#page=83).
* **Le régime du contrat:** Un contrat est administratif s'il est soumis, même partiellement, à un régime juridique spécial, exorbitant du droit commun, prévu par un texte particulier. Ce critère découle de l'arrêt *Société d'exploitation électrique de la rivière du Sant* [84](#page=84) [85](#page=85).
#### 6.1.2 Les contrats administratifs par détermination de la loi
Dans certains cas, le législateur qualifie directement des contrats d'administratifs [87](#page=87).
* **Exemples:** Contrats comportant occupation du domaine public, contrats de cession de biens immobiliers de l'État, marchés publics et concessions passés par des personnes publiques, contrats d'achat d'électricité entre EDF et les producteurs autonomes [87](#page=87).
* **Importance:** Cette qualification légale détermine non seulement la nature du contrat mais aussi son régime juridique spécifique, incluant souvent des procédures de passation particulières comme la mise en concurrence [87](#page=87) [88](#page=88).
##### 6.1.2.1 Marchés publics et concessions
Bien que relevant tous deux du code de la commande publique, les marchés publics et les concessions se distinguent par le transfert du risque d'exploitation du concessionnaire [88](#page=88).
* **Marché public:** Le titulaire vend une prestation contre un prix, sans assumer de risque économique significatif s'il a bien calculé [88](#page=88).
* **Concession:** Le concessionnaire est rémunéré par l'exploitation du service ou de l'ouvrage, sa rémunération dépendant des aléas du marché. Le risque transféré doit être réel et non négligeable [88](#page=88) [89](#page=89).
#### 6.1.3 Les cas particuliers
Certains contrats échappent à la logique stricte du cumul des critères organique et matériel [85](#page=85).
* **Contrats entre personnes publiques:** Ils bénéficient d'une présomption d'administrativité, mais peuvent être de droit privé s'ils ne font naître que des rapports de droit privé [85](#page=85) [86](#page=86).
* **Contrats accessoires à un contrat de droit public:** Ils sont eux-mêmes de droit public, même conclus entre personnes privées [86](#page=86).
* **Contrats internationaux:** Leur qualification d'administratif est subordonnée à leur soumission partielle au droit français et au respect des critères jurisprudentiels habituels [86](#page=86) [87](#page=87).
### 6.2 Le régime des contrats administratifs
Le régime des contrats administratifs est en partie spécial et original, notamment en ce qui concerne leur formation et leur exécution [89](#page=89).
#### 6.2.1 La formation du contrat
Malgré le principe de liberté contractuelle, la liberté de l'administration est encadrée pour protéger les finances publiques et lutter contre la corruption. Il est souvent nécessaire d'organiser des procédures de mise en concurrence [89](#page=89) [90](#page=90).
* **Mise en concurrence:** Elle s'impose pour la majorité des marchés publics et des concessions, ainsi que pour les conventions d'occupation du domaine public en vue d'une exploitation économique. Elle n'est cependant pas toujours requise pour les contrats sur le domaine privé d'une personne publique [90](#page=90).
#### 6.2.2 L'exécution des contrats administratifs
Le régime de l'exécution est particulièrement original et se fonde sur des règles jurisprudentielles générales conférant à l'administration des prérogatives exorbitantes du droit commun [90](#page=90) [91](#page=91).
##### 6.2.2.1 Les prérogatives exorbitantes de l'administration contractante
L'administration dispose de trois prérogatives principales :
* **Un pouvoir de contrôle et de sanction:** L'administration peut surveiller l'exécution du contrat et sanctionner son cocontractant en cas de manquement, même en l'absence de clause ou de texte le prévoyant. Les sanctions peuvent être coercitives (substitution à l'entrepreneur défaillant) ou résolutoires (résiliation pour faute). Le principe de proportionnalité s'applique. La résiliation pour faute peut être prononcée par l'administration elle-même, y compris pour les concessions de service public [91](#page=91) [92](#page=92).
* **Un pouvoir de modification unilatérale:** L'administration peut modifier seule certaines clauses du contrat si l'intérêt général le justifie, à condition de ne pas changer la nature globale du contrat ni bouleverser son économie. Le cocontractant ayant subi un préjudice a droit à une indemnisation intégrale [93](#page=93).
* **Un pouvoir de résiliation unilatérale des contrats administratifs:** L'administration peut mettre fin à un contrat pour motif d'intérêt général. Ce pouvoir s'applique à tous les contrats administratifs, y compris les concessions de service public. Pour les contrats entre personnes publiques, ce pouvoir est plus strictement apprécié. En cas de résiliation pour motif d'intérêt général, le cocontractant a droit à une indemnisation intégrale de son préjudice, sauf clause contractuelle prévoyant une indemnisation moindre, mais jamais supérieure au préjudice réel. L'administration ne peut renoncer à ce pouvoir [94](#page=94) [95](#page=95).
##### 6.2.2.2 Les garanties particulières reconnues au cocontractant de l'administration
Le cocontractant a droit à l'équilibre financier du contrat, et en cas de rupture de cet équilibre par certains aléas, il a droit à une indemnisation. Trois théories jurisprudentielles consacrent ce droit [95](#page=95):
* **Théorie des sujétions techniques imprévues:** Elle concerne les difficultés matérielles exceptionnelles et imprévisibles rencontrées lors de l'exécution d'un marché de travaux publics, donnant lieu à un relèvement du prix si elles ont renchéri le coût du contrat et bouleversé son économie. Elle ne s'applique qu'aux marchés publics de travaux [95](#page=95) [96](#page=96).
* **Théorie du fait du prince:** Elle couvre les mesures imprévues prises par l'administration, en tant qu'autorité administrative, qui ont des répercussions financières sur le contrat. Si le fait du prince bouleverse l'économie du contrat, le cocontractant a droit à une indemnisation intégrale du préjudice anormal et spécial subi [96](#page=96).
* **Théorie de l'imprévision:** Elle s'applique lorsque des circonstances extérieures et imprévisibles bouleversent l'économie du contrat au point de rendre son exécution financièrement difficile. L'indemnisation couvre le surcoût lié à l'imprévision. L'entrepreneur doit continuer à exécuter le contrat. Si l'imprévision devient permanente, l'administration doit mettre fin au contrat [96](#page=96).
> **Tip :** Il est essentiel de bien distinguer les contrats administratifs des contrats de droit privé conclus par l'administration, car leur régime juridique et les compétences des juridictions sont différents. La qualification repose sur une analyse rigoureuse des critères organiques et matériels, ou sur une disposition légale expresse.
> **Tip :** Les prérogatives de l'administration dans l'exécution des contrats administratifs sont considérables et visent à assurer la bonne exécution des missions d'intérêt général. Cependant, ces prérogatives sont contrebalancées par des garanties pour le cocontractant, notamment le droit à l'équilibre financier du contrat.
> **Example:** L'arrêt *Société AXA France IARD* a clarifié la définition des clauses exorbitantes en mettant l'accent sur les prérogatives de puissance publique conférées à l'administration dans l'intérêt général. Cela permet de mieux identifier les clauses qui rendent un contrat administratif [79](#page=79).
> **Example:** La distinction entre marché public et concession repose sur le transfert du risque d'exploitation. Dans un marché public, le risque est limité, tandis que dans une concession, le concessionnaire assume une exposition réelle aux aléas du marché, ce qui justifie le transfert de ce risque [88](#page=88) [89](#page=89).
---
## Erreurs courantes à éviter
- Révisez tous les sujets en profondeur avant les examens
- Portez attention aux formules et définitions clés
- Pratiquez avec les exemples fournis dans chaque section
- Ne mémorisez pas sans comprendre les concepts sous-jacents
Glossary
| Term | Definition |
|------|------------|
| Droit administratif | Ensemble des règles juridiques applicables à l'administration publique et à ses activités, se distinguant du droit privé par sa spécificité et ses prérogatives. |
| Administration publique | Entité qui gère les affaires publiques et vise à satisfaire l'intérêt général, pouvant être définie de manière organique (ensemble des organes) ou matérielle (fonction ou activité). |
| Définition organique de l'administration | Conception de l'administration comme l'ensemble des organes qui, au sein des personnes morales de droit public, exercent des activités administratives. |
| Définition matérielle de l'administration | Conception de l'administration comme la fonction ou l'activité administrative elle-même, distincte des fonctions législative, juridictionnelle et gouvernementale. |
| Autorité administrative | Personne physique exerçant une fonction administrative et disposant d'une compétence décisionnaire, comme un doyen, un préfet ou un ministre. |
| Intérêt général | Notion visant à satisfaire les besoins collectifs de la société, dont la conception peut évoluer dans le temps et dans l'espace. |
| Service Public Industriel et Commercial (SPIC) | Type de service public dont l'activité est exercée selon les méthodes du commerce privé, financé principalement par les redevances des usagers et relevant du juge judiciaire. |
| Service Public Administratif (SPA) | Type de service public dont l'activité est de nature administrative, financé par des fonds publics et relevant du juge administratif. |
| Pouvoir de police | Ensemble des prérogatives de droit public permettant à l'administration de réglementer les libertés individuelles dans le but de protéger l'ordre public. |
| Police administrative | Activité de l'administration visant à maintenir l'ordre, la sécurité et la salubrité publique, se distinguant de la police judiciaire par sa finalité préventive. |
| Police judiciaire | Activité de l'administration visant à constater les infractions pénales, rassembler les preuves et arrêter les auteurs, ayant une finalité répressive. |
| Ordre public | Ensemble des conditions matérielles et immatérielles nécessaires au bon fonctionnement de la société, incluant la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques, ainsi que le respect de la dignité humaine. |
| Critère finaliste | Critère d'identification d'une activité basé sur son but ou sa finalité, notamment l'intérêt général pour les services publics. |
| Critère organique | Critère d'identification d'une activité basé sur le lien qu'elle entretient avec une personne publique, notamment sa gestion ou sa maîtrise par celle-ci. |
| Prérogatives de puissance publique (PPP) | Pouvoirs spécifiques conférés à l'administration qui lui permettent d'agir de manière unilatérale et d'imposer sa volonté, tels que le pouvoir de contrainte ou de sanction. |
| Droit souple | Ensemble de mesures émanant d'autorités publiques qui visent à orienter les comportements par la persuasion et l'adhésion, sans créer de droits ou obligations contraignantes. |
| Mesure d'ordre intérieur (MOI) | Décision administrative jugée trop peu importante ou interne pour être contestée devant le juge administratif, bien que cette catégorie soit de plus en plus réduite. |
| Privilège du préalable | Capacité de l'administration à prendre des décisions exécutoires par elle-même, sans autorisation préalable du juge, caractérisant le caractère exécutoire des actes administratifs unilatéraux. |
| Acte administratif unilatéral | Acte juridique émanant d'une seule volonté (individuelle ou collective) et produisant des effets de droit à l'égard de tiers, sans nécessiter leur consentement préalable. |
| Contrat administratif | Contrat conclu par une personne publique, soumis à des clauses exorbitantes du droit commun ou ayant pour objet l'exécution d'un service public, relevant du régime du droit public. |
| Clause exorbitante du droit commun | Clause contractuelle qui confère à la personne publique des prérogatives exceptionnelles ou impose des obligations inhabituelles par rapport au droit privé, révélant la nature administrative du contrat. |
| Théorie des sujétions imprévues | Théorie jurisprudentielle reconnaissant le droit à indemnisation du cocontractant de l'administration pour les difficultés matérielles exceptionnelles et imprévisibles rencontrées lors de l'exécution d'un marché public de travaux. |
| Théorie du fait du prince | Théorie jurisprudentielle reconnaissant le droit à indemnisation du cocontractant de l'administration lorsque une mesure administrative unilatérale, bien que licite, bouleverse l'économie du contrat. |
| Théorie de l'imprévision | Théorie jurisprudentielle reconnaissant le droit à indemnisation du cocontractant de l'administration lorsque des circonstances économiques imprévisibles bouleversent l'économie du contrat, rendant son exécution financièrement difficile. |
| Loi de continuité du service public | Principe selon lequel les services publics ne doivent pas connaître d'interruptions anormales, garantissant la régularité de leur fonctionnement. |
| Loi de changement (mutabilité) du service public | Principe selon lequel les services publics doivent pouvoir s'adapter aux évolutions de l'intérêt général, pouvant aller jusqu'à leur modification ou suppression. |
| Loi d'égalité du service public | Principe selon lequel les usagers d'un service public doivent être traités de manière égale, sans discrimination, bien que des différences de traitement puissent être admises sous certaines conditions. |
| Principe de neutralité du service public | Principe interdisant au service public de manifester ou d'être associé à toute opinion politique, philosophique ou religieuse, garantissant l'impartialité et l'égalité de traitement des usagers. |