Cultural Social Anthropology
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Summary
# Intersections entre anthropologie et psychologie : personnalité, culture et tabous
Ce sujet explore les liens et les interactions entre l'anthropologie et la psychologie, en se concentrant sur la manière dont la culture façonne la personnalité, la compréhension des émotions et l'origine des tabous.
### 1.1 La typologie de la déviance selon Becker et le concept de souillure
Howard Becker propose une typologie de la déviance basée sur l'obéissance ou la transgression des normes et la perception de cette déviance par la société. Il distingue ainsi les individus "accusés à tort", "pleinement déviants", "conformes" et "secrètement déviants" [8](#page=8).
La souillure, selon Mary Douglas, est envisagée comme un équivalent du désordre, touchant aux éléments qui ne rentrent pas clairement dans les catégories de l'ordre établi, constituant ainsi une anomalie de classement. Elle s'intéresse particulièrement aux interdits alimentaires, comme celui du porc dans l'Islam, et aux animaux considérés comme impurs car ne répondant pas aux critères de ruminer et d'avoir le pied fendu. La sueur illustre cette ambivalence: positive lorsqu'elle est contrôlée (sport) et négative lorsqu'elle ne l'est pas, suscitant le dégoût. Les substances corporelles qui s'échappent du corps sont généralement associées au dégoût ou à la peur en raison de leur pouvoir contaminant. La souillure peut être acceptée tant qu'elle ne contamine pas d'autres sphères, et son acceptation varie selon les sociétés, la perception de la gêne occasionnée, et même le genre (la transpiration étant plus acceptée chez l'homme). Les travailleurs de la morgue ou les égoutiers gèrent socialement ce qui est perçu comme "dégoûtant", suscitant parfois le dégoût chez autrui et créant une séparation sociale marquée par la notion de "propres et sales" [8](#page=8) [9](#page=9).
Il existe six grandes formes de violations commises envers le corps :
* La position du corps par rapport au territoire revendiqué [9](#page=9).
* Le contact direct entraînant la souillure, comme l'agression sexuelle [9](#page=9).
* Le regard [9](#page=9).
* Le bruit [9](#page=9).
* La parole, via l'agression verbale [9](#page=9).
* Les objets de souillure (contamination directe, odeurs, chaleur corporelle, marques laissées par d'autres) [9](#page=9).
> **Tip:** La distinction entre souillure et dégoût est cruciale et varie grandement d'une culture à l'autre, résultant d'un apprentissage social.
### 1.2 Modifications et mutilations corporelles
Selon D. Lebreton, le corps est un vecteur d'identité, et certaines modifications volontaires, comme le tatouage, affirment l'individu et cherchent à modifier son rapport au monde. La peau agit comme une frontière, marquant l'identité dans le monde social. Les sociétés modernes individualistes recherchent l'identité, contrairement aux sociétés antérieures où elle était déterminée par les parents. Le corps est valorisé et les modifications corporelles (tatouages, piercings) permettent de se sentir unique et de se singulariser, marquant une rupture sociale et familiale. Ces pratiques peuvent devenir une norme et un rite de passage entre l'enfance et l'adolescence [10](#page=10) [9](#page=9).
Les scarifications (ou "biffures" selon Lebreton) témoignent d'un mal-être, particulièrement chez les jeunes femmes, en raison de la domination masculine. Elles servent à refuser le corps comme simple parure, perçu comme une contrainte enfermant l'identité. Les scarifications visent à révéler l'identité et à réveiller le sujet par la douleur et la modification, agissant comme une régulation des tensions. Dans une société où le sens n'est plus donné par la norme sociale mais par le corps, l'aspect physique remplace la symbolique, les scarifications devenant des signes identitaires visant à aller de l'avant. Ces pratiques peuvent également être envisagées sous un angle biographique [10](#page=10).
On distingue deux types de modifications corporelles: les signatures et les biffures [10](#page=10).
### 1.3 La rencontre entre anthropologie et psychologie : personnalité et culture
L'anthropologie et la psychologie ont des perspectives différentes: l'anthropologie voit du "soi" dans l'"autre", tandis que la psychologie voit de l'"autre" dans le "soi". Les faits sociaux s'imposent aux individus et ne dépendent pas d'eux [10](#page=10).
Aux États-Unis, l'anthropologie s'est concentrée sur la "personnalité culturelle", étudiant l'effet de la culture sur la personnalité de ses membres. L'école de "culture et personnalité" (A. Kardiner, M. Mead, R. Linton) postule que la personnalité de base est liée à la culture. Les individus naissent sans personnalité, qui se façonne au sein de la société, mais partagent une personnalité de base commune en tant que membres de la même société, ce qui peut sembler naturel et unique [10](#page=10) [11](#page=11).
La personnalité influence la culture, et vice-versa, notamment dans les réactions à la douleur ou à certaines situations. R. Linton distingue les influences "générales" (partagées par tous les membres d'une société) et "spécifiques" (liées au genre, au statut social, etc.). La personnalité de l'enfant est ainsi conditionnée différemment selon les sociétés. Linton définit la "personnalité statutaire" comme le type de personnalité idéal vers lequel une société tend, variant selon les contextes [11](#page=11).
### 1.4 Le concept de tabou
Le terme "tabou" (Tupa, Tunga) désigne ce qui est interdit. Selon Freud, la société impose des restrictions par le biais de tabous, notamment concernant les impulsions sexuelles fondamentales, l'inceste et la monogamie étant des restrictions universelles. Le tabou se manifeste par l'interdit, mais le désir persiste. Freud établit un lien entre le névrosé et le "primitif", les considérant comme comparables [11](#page=11).
Freud aborde également le totémisme, où des groupes d'humains partagent un totem commun (par exemple, un animal), expliquant certaines relations intergroupes. Les sociétés catégorisent le monde en différents totems. Il établit un parallèle entre le "primitif" et l'enfant dans leur comportement vis-à-vis des animaux, la crainte de l'enfant pour l'animal apparaissant progressivement. L'interdiction de manger son animal totem est assimilée au meurtre du père [11](#page=11).
> **Tip:** Le tabou, bien qu'il exprime un interdit, révèle souvent un désir sous-jacent, une tension entre la répression et l'impulsion.
### 1.5 Psychologie sociale et culturelle
E. Sapir affirme que toute psychologie de l'individu est une psychologie de la société, notre façon de respirer en étant un exemple. L'homme applique des modèles de manière intuitive, sans toujours pouvoir les décrire consciemment. La psychologie sociale se développe sur le principe de l'imitation. Wundt, avec sa "psychologie des peuples", souligne l'importance des relations sociales pour identifier l'individu, l'identité se forgeant au contact d'autrui et de l'environnement. Cette approche évolue de l'étude des attitudes à celle de la culture [11](#page=11) [12](#page=12).
### 1.6 L'anthropologie des émotions
M. Mauss insiste sur le caractère social de l'expression des émotions. Traditionnellement, en France, on s'est peu intéressé aux émotions, privilégiant la raison. Deux approches principales existent [12](#page=12):
1. **Approche universaliste:** Les émotions sont considérées comme universelles et classées en émotions élémentaires (colère, peur, tristesse, dégoût, joie) et secondaires (amour, nostalgie). Elles sont rattachées à la nature humaine, et l'accent est mis sur la manière dont les individus les expriment et les ressentent. Une échelle d'intensités est proposée: intérêt $\rightarrow$ excitation, plaisir $\rightarrow$ joie, surprise $\rightarrow$ sursaut, détresse $\rightarrow$ angoisse, peur $\rightarrow$ terreur, colère $\rightarrow$ rage, honte $\rightarrow$ humiliation. On distingue les affects (perceptions non conscientes, incontrôlables), les sentiments (prise de conscience des affects) et les émotions (liées à la biographie de l'individu) [12](#page=12).
2. **Approche culturaliste:** Tous les humains ont des émotions, mais celles-ci ne sont pas naturelles et sont influencées par le contexte. L'interaction et les relations sont privilégiées par rapport à l'individu. D. Lebreton souligne que les réactions émotionnelles sont inscrites dans le lien social et le rapport à l'environnement. Chaque culture possède un répertoire d'émotions, dictant les conduites appropriées selon le statut social, l'âge, le sexe, etc.. Ce répertoire n'est pas figé et les individus disposent d'une marge de liberté pour l'utiliser. Le groupe juge les états affectifs en fonction de leur conformité à la norme. Certains lieux, comme les cabinets de psychothérapie, sont propices à l'expression des émotions. L'approche universaliste de P. Ekman, cependant, cherche à démontrer que les émotions s'expriment de manière similaire à travers le monde, indépendamment de la culture [12](#page=12) [13](#page=13).
### 1.7 L'ethnopsychanalyse
L'ethnopsychanalyse se situe à l'intersection de l'anthropologie (collectif) et de la psychanalyse (individuel). Les deux disciplines se rejoignent sur la place du symbole et sa signification. Nées à la même époque, elles partagent un objet empirique commun: l'homme [13](#page=13).
Du point de vue individuel, la psychanalyse montre que nos actions ne sont pas toujours rationnelles en raison des processus inconscients. Son but est de comprendre comment les rapports sociaux et les comportements culturels sont assimilés, négociés et vécus par les individus [13](#page=13).
G. Devereux est un représentant clé de ce courant. On parle d'ethnopsychanalyse pour la recherche et d'ethnopsychiatrie pour les soins. Il s'agit de l'étude des désordres psychiques et culturels, incluant les désordres mentaux [13](#page=13).
Devereux distingue deux types d'inconscient :
* **La partie jamais consciente** [13](#page=13).
* **La partie qui a été consciente puis refoulée**. Ce refoulement peut être [13](#page=13):
* **Idiosyncrasique:** Lié à des traumatismes personnels partagés (ex: orphelins), ou des expériences trop singulières nécessitant un traitement social spécifique [13](#page=13).
* **Culturel:** Partagé par tous les membres d'une culture, il dicte ce qui doit être refoulé et se transmet culturellement et socialement. Chaque culture permet à certains fantasmes et pulsions d'accéder à la conscience tout en exigeant que d'autres soient refoulés, offrant parfois des moyens culturels marginaux pour leur expression [13](#page=13).
Le stress correspond aux forces nocives subies par les individus, et le trauma à leurs effets. Les cultures fournissent des "armes" et des défenses contre les effets du stress. La capacité à se défendre est inégale selon les individus (jeunes, migrants), et les psychoses trouvent leur origine dans l'enfance (traumatismes non surmontables) ou chez les migrants (manque d'accès aux ressources culturelles). L'ethnopsychologie s'intéresse particulièrement aux migrants aujourd'hui. G. Devereux soutient que tous les individus partagent le même psychisme, influencé par le complexe d'Œdipe [13](#page=13).
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# Diffusionnisme, relativisme culturel et fonctionnalisme en anthropologie
Ce sujet explore trois courants majeurs en anthropologie : le diffusionnisme, qui examine la propagation des traits culturels ; le relativisme culturel, qui prône la compréhension des cultures dans leur propre contexte ; et le fonctionnalisme, qui analyse les sociétés comme des systèmes où chaque élément remplit une fonction.
### 2.1 Le diffusionnisme
Le diffusionnisme, apparu au début du XXe siècle, se concentre sur la distribution géographique des traits culturels et cherche à expliquer leur présence par une succession d'emprunts entre groupes humains. Ce courant met l'accent sur les processus d'invention et de circulation des éléments culturels d'un groupe à l'autre. Les diffusionnistes étudient scientifiquement la vitesse, les obstacles et les conditions de diffusion des traits culturels [15](#page=15).
#### 2.1.1 Principaux représentants et concepts
* **Elliott Smith**: Britannique, il a avancé l'idée de l'origine égyptienne de toute civilisation, en se basant sur le rapprochement d'éléments comparables trouvés dans diverses régions du monde, tels que les pyramides mayas, le culte du Soleil, ou les rituels funéraires [15](#page=15).
* **Fanny Boas**: Son travail portait sur les conditions d'emprunt et le développement interne des sociétés [15](#page=15).
* **Roger Bastide**: Français, il a souligné que les idées, représentations, croyances, techniques et objets se diffusent au gré des échanges culturels [16](#page=16).
Le concept de **relativisme culturel** est étroitement lié à ce courant, souvent attribué à Fanny Boas. Il s'agit de l'affirmation d'un principe éthique prônant la dignité de chaque culture, impliquant respect et tolérance envers les cultures différentes [15](#page=15) [17](#page=17).
#### 2.1.2 Mécanismes de diffusion
La diffusion culturelle peut se produire de deux manières :
* **Directement**: par des contacts et échanges directs entre les cultures [16](#page=16).
* **Indirectement**: par le biais d'interactions à distance, comme le commerce, les migrations, les conquêtes militaires, ou les médias et technologies de communication modernes [16](#page=16).
Les stimuli environnementaux jouent un rôle dans la diffusion culturelle, les sociétés pouvant adopter des pratiques ou technologies en réponse à des pressions environnementales ou des besoins économiques, tels que l'adaptation climatique, la disponibilité de ressources ou la résolution de problèmes pratiques [16](#page=16).
#### 2.1.3 Critiques du diffusionnisme
Le diffusionnisme a fait l'objet de plusieurs critiques :
* Difficulté à expliquer l'émergence de phénomènes culturels similaires chez des populations n'ayant jamais eu de contact direct [16](#page=16).
* Tendance à simplifier les interactions culturelles en les réduisant à des processus linéaires, ignorant la complexité des dynamiques locales [16](#page=16).
* Accusation de présenter une vision eurocentrique de l'histoire humaine, suggérant une propagation principalement des civilisations occidentales vers d'autres cultures, souvent avec un manque de preuves empiriques [17](#page=17).
> **Tip:** Le relativisme culturel, bien que valorisant le respect des différences, peut avoir des limites lorsqu'il s'agit de pratiques portant atteinte aux droits de l'homme, à la liberté ou à la justice [17](#page=17).
### 2.2 Le fonctionnalisme
Le fonctionnalisme s'est développé en Grande-Bretagne dans les années 1930-1950. Cette approche théorique considère les sociétés humaines comme fonctionnant à la manière d'un organisme vivant, où les différentes institutions interagissent les unes avec les autres. L'étude empirique des faits sociaux doit être appréhendée dans sa totalité et de manière synchronique [17](#page=17).
#### 2.2.1 Principes fondamentaux
* **Fonction de chaque élément**: Chaque fait social ou élément culturel possède une ou plusieurs fonctions, une tâche à accomplir. Un trait culturel ne peut être étudié isolément; c'est sa relation avec les autres éléments de l'ensemble culturel qui lui donne son sens [17](#page=17).
* **Système culturel**: L'accent est mis sur la notion de système culturel, un ensemble d'éléments considérés dans leurs rapports mutuels, en fonction de leur rôle et de leur utilité [17](#page=17).
* **Satisfaction des besoins**: La culture est vue comme un système qui satisfait des besoins fondamentaux, tels que l'alimentation, la reproduction, la sécurité, la santé et la protection [17](#page=17).
#### 2.2.2 Principaux précurseurs
* **Bronislaw Malinowski (1884-1942)**: D'origine polonaise, il est considéré comme un précurseur du fonctionnalisme par son travail de terrain. Il définit la culture comme un système d'évaluation des besoins et un système qui les satisfait. Son étude des "Argonautes du Pacifique occidental" analyse le **Kula**, un vaste système d'échange intertribal de biens et de services, basé sur les obligations de donner, recevoir et rendre. Cette approche est aussi connue sous le nom de fonctionnalisme psychologique en raison de l'importance accordée aux besoins individuels [17](#page=17) [18](#page=18).
* **Alfred Radcliffe-Brown (1881-1955)**: Pour lui, l'anthropologue doit étudier empiriquement les fonctions des coutumes dans le présent. Il considère que la structure sociale est composée de divers groupes sociaux (famille, clan, classe, etc.) et que la société est une unité fonctionnaliste où les parties et les institutions s'intègrent pour préserver l'ensemble et l'organisation globale [18](#page=18).
> **Exemple:** Dans le cadre du fonctionnalisme, un rituel religieux peut être analysé non pas pour sa vérité intrinsèque, mais pour sa fonction dans le renforcement de la cohésion sociale ou la gestion de l'anxiété au sein d'une communauté [18](#page=18).
#### 2.2.3 Critiques du fonctionnalisme
Le fonctionnalisme a été critiqué pour plusieurs raisons :
* Incapacité à rendre compte du changement social et des conflits au sein des sociétés [18](#page=18).
* Sa référence à la stabilité et à l'analogie organique peut le rendre idéologiquement conservateur [18](#page=18).
* Attribution d'états mentaux à des éléments qui n'en possèdent pas [18](#page=18).
* Ignorance des inégalités sociales, telles que le genre, la race et la classe [18](#page=18).
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# L'ethnopsychologie et l'ethnopsychiatrie : l'influence de la culture sur la santé mentale
L'ethnopsychologie et l'ethnopsychiatrie étudient l'interaction entre la culture et les processus mentaux, les comportements et la santé mentale des individus et des groupes [25](#page=25) [26](#page=26).
### 3.1 Mise en perspective des ethnosciences
Les ethnosciences, incluant l'ethnopsychologie et l'ethnopsychiatrie, visent à comprendre l'influence des facteurs ethniques sur la santé mentale [26](#page=26).
#### 3.1.1 L'ethnopsychologie
L'ethnopsychologie est une branche de la psychologie qui analyse les processus mentaux et les comportements au sein des groupes ethniques. Elle cherche à appréhender les spécificités culturelles, sociales et historiques qui façonnent les pratiques psychologiques. Cette discipline prend en compte la diversité culturelle pour mieux comprendre le fonctionnement de l'esprit humain, contribuant ainsi à déconstruire les stéréotypes et les préjugés liés aux différences culturelles. Elle observe comment les traditions, croyances et valeurs d'un groupe impactent la perception du monde, les émotions et les relations interpersonnelles [25](#page=25) [26](#page=26).
Les problématiques traitées en ethnopsychologie incluent :
* Problématiques identitaires [26](#page=26).
* Expatriation et migrations [26](#page=26).
* Deuils, naissances, mariages [26](#page=26).
* Le genre et les couples mixtes [26](#page=26).
* Conflits de loyauté à l'adolescence entre le monde culturel d'origine des parents et le pays d'accueil [26](#page=26).
* Stress et traumatisme, en considérant que les cultures offrent des défenses face au stress, mais que celles-ci ne sont pas toujours accessibles aux migrants [26](#page=26).
##### 3.1.1.1 Fondateurs et approches
* **Georges Devereux (1908-1985)**: Psychanalyste et anthropologue franco-américain, fondateur de l'ethnopsychanalyse. Il défend l'universalité du complexe d'Œdipe, considérant que la construction de l'individu ne dépend pas uniquement de sa culture. Son approche est transculturelle et "complémentariste" entre anthropologie et psychanalyse [24](#page=24).
* **Tobie Nathan (né en 1947)**: Psychologue, professeur émérite et écrivain français. Il étudie les dispositifs de soins mis en place par les guérisseurs, proposant une vision de la psychothérapie et du patient centrés sur leur univers familial et culturel. Il a fondé en 1993 le centre Georges-Devereux, dédié à l'aide psychologique aux familles migrantes [24](#page=24) [25](#page=25).
> **Tip:** L'approche de Tobie Nathan met l'accent sur l'importance de considérer le patient dans son contexte socio-culturel pour une compréhension plus fine de ses problématiques.
#### 3.1.2 L'ethnopsychiatrie
L'ethnopsychiatrie est un domaine de recherche qui partage objets et méthodes avec la psychologie clinique et l'anthropologie. Elle étudie l'influence des facteurs ethniques sur l'origine et les manifestations des maladies mentales. L'approche ethnopsychiatrique intègre les représentations de l'humain et de sa souffrance propres au groupe culturel du patient [26](#page=26).
##### 3.1.2.1 Concepts clés en ethnopsychiatrie
* **Idiosyncrasie**: Selon Tobie Nathan, il s'agit de la manière d'être particulière à chaque individu qui détermine ses réactions et comportements. En psychologie, elle désigne la disposition à ressentir une impression de façon particulière. En psychiatrie, elle peut se manifester par l'utilisation de mots inappropriés à la situation, souvent observé dans l'autisme [26](#page=26).
* **Inconscient culturel**: Chaque culture détermine quels fantasmes, pulsions et manifestations psychiques peuvent accéder à la conscience et lesquels doivent être refoulés. La culture peut fournir, même à contrecœur, des moyens d'expression pour ces pulsions, souvent de manière marginale [26](#page=26).
* **La schizophrénie**: Ce trouble mental se caractérise par une perte de contact avec la réalité (psychose), des hallucinations, de fausses croyances fermement tenues (délires), des troubles de la pensée et du comportement, une diminution des expressions émotionnelles, une réduction de la motivation et un déclin des fonctions mentales. Ses caractéristiques incluent le détachement, l'absence d'affectivité sexuelle, le morcellement, le déréisme, le brouillage entre le réel et l'imaginaire, l'infantilisme, la fixation et la régression, ainsi que la dépersonnalisation ou dédifférenciation [27](#page=27).
> **Tip:** L'ethnopsychiatrie souligne que les manifestations et la compréhension de la maladie mentale peuvent varier considérablement selon le contexte culturel.
### 3.2 L'influence de la culture sur la perception et les comportements
La culture façonne profondément la manière dont les individus perçoivent le monde, réagissent aux événements et interagissent avec leur environnement.
#### 3.2.1 La classification du monde et les pratiques sociales
Les classifications totémiques, par exemple, révèlent une logique fondée sur des oppositions binaires et des corrélations basées sur des termes qualitatifs, tels que les espèces végétales et animales. La classification du monde naturel est intimement liée à la classification sociale [24](#page=24).
> **Example:** Aux îles Aurora (Vanuatu), la mère peut imaginer, pendant la grossesse, un lien privilégié entre son enfant et une plante ou un animal. Cette identification s'accompagne de prohibitions alimentaires [24](#page=24).
#### 3.2.2 Ethnocentrisme, acculturation et globalisation
Ces concepts décrivent différentes formes d'interaction et d'influence culturelles.
* **Ethnocentrisme**: Tendance à considérer sa propre culture et son mode de vie comme supérieurs à ceux des autres. Claude Lévi-Strauss affirme que "le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie". L'ethnocentrisme peut entraîner des biais de recherche, des perceptions faussées, des malentendus et perpétuer les stéréotypes [27](#page=27).
* **Acculturation**: Définie au sens large comme l'étude de l'interpénétration des civilisations. Selon le mémorandum de Redfield, Linton et Herskovits, l'acculturation désigne "l'ensemble des phénomènes qui résultent de ce que des groupes d'individus de cultures différentes entrent en contact, continu et direct, avec les changements qui surviennent dans les patrons culturels originaux de l'un ou des deux groupes". Elle peut être spontanée, planifiée ou forcée [28](#page=28).
* **Globalisation**: Phénomène récent de mutation radicale, financière, économique et surtout humaine, caractérisé par une intégration et une interconnexion telles que les individus doivent composer entre leur vie locale, leurs attaches territoriales et leur identité culturelle, tout en se sentant appartenir à la globalité du monde. La tension entre le local et le global est une caractéristique de la globalisation. Marc Abélès suggère qu'une ethnographie du global est possible en considérant l'influence des forces externes sur la vie locale, les connexions entre différents lieux, et les représentations qui façonnent le quotidien [28](#page=28).
#### 3.2.3 La déconstruction de la notion de "race"
* **Arthur de Gobineau (1816-1882)**: Auteur de "essai sur l'inégalités des races humaines" un ouvrage pseudoscience visant à établir une hiérarchie entre les races [28](#page=28).
* **Franz Boas**: A combattu les théories scientifiques racistes basées sur l'étude crânienne. Il a démontré que la variation des traits morphologiques est due à l'environnement et que les prétendues races ne sont pas stables, soulignant la plasticité, l'instabilité et le métissage des groupes humains. Le consensus scientifique rejette l'existence d'arguments biologiques légitimant la notion de "race" [28](#page=28) [29](#page=29).
* **Génome humain**: La déclaration universelle sur le génome humain stipule que le génome humain sous-tend l'unité fondamentale de l'humanité, ainsi que sa dignité intrinsèque et sa diversité. Il est considéré comme le patrimoine de l'humanité [29](#page=29).
#### 3.2.4 La culture : dynamique et influence
La culture, acquise et non héréditaire, conditionne fortement les comportements individuels et collectifs. Elle est une expression de la vie sociale de l'homme et se caractérise par sa dimension collective. Son origine et son caractère sont largement inconscients [29](#page=29).
> **Example:** Les différentes manières dont les cultures ont assuré une maîtrise sur le corps humain (par exemple, la cuisine chinoise ou indienne) ou ont fait face aux extrêmes climatiques témoignent de cette diversité culturelle [29](#page=29).
Le progrès culturel s'est surtout réalisé par la collaboration des cultures et la diffusion des techniques et inventions. Lévi-Strauss souligne que "tout progrès culturel est une fonction d'une coalition entre les cultures, une manière d'être ensemble". L'échange, la communication et l'altérité sont donc essentiels à l'enrichissement du patrimoine culturel commun de l'humanité [29](#page=29).
### 3.3 Anthropologie et système sexe/genre
L'anthropologie a exploré les constructions sociales du genre et leur relation avec le sexe biologique.
#### 3.3.1 La valence différentielle des sexes
* **Françoise Héritier (1933-2017)**: Dans son ouvrage "Masculin, féminin, la pensée de la différence", elle observe le phénomène universel de l'échange des femmes entre hommes, et non l'inverse. Elle conceptualise la "valence différentielle des sexes", postulant que le masculin est universellement considéré comme supérieur au féminin. Elle suggère que cette différence de valence résulte de la volonté des hommes de contrôler la reproduction, privant ainsi les femmes de la maîtrise de leur corps et de leur sexualité [30](#page=30).
#### 3.3.2 La théorie du genre selon Margaret Mead
L'anthropologue Margaret Mead a initié la théorie du genre, selon laquelle l'identité sexuelle de l'être humain ne dépend pas du sexe biologique mais du ressenti subjectif de chacun. Les anthropologues ont constaté que les rapports entre sexe et genre diffèrent selon les sociétés et considèrent les sexualités comme des constructions sociales à déconstruire [30](#page=30).
#### 3.3.3 Modèles de relation entre sexe et genre
* **Modèle 1 : Le sexe impose le genre**
Dans ce modèle, être né avec des attributs masculins ou féminins oblige l'individu à adopter le rôle social correspondant à son sexe, avec les attributs de virilité ou de douceur que la société confère [30](#page=30).
> **Example:** E. Evans-Pritchard décrit les guerriers Azandés épousant de jeunes garçons jusqu'à ce qu'ils puissent acquérir une épouse femme. Dans cette société, le "garçon-épouse" rendait à son mari tous les services, y compris sexuels, qu'aurait rendus une femme. Ces pratiques, observées aussi en Papouasie-Nouvelle-Guinée (absorption de sperme par les jeunes garçons), visent à renforcer la différence entre hommes et femmes [30](#page=30) [31](#page=31).
* **Modèle 2 : Le genre impose le sexe**
Dans ce cas, le sexe anatomique est considéré comme non pertinent; seul compte le genre, construit socialement, qui peut être déconstruit et potentiellement changé par les individus [31](#page=31).
> **Example:** Les exemples de primauté du genre sur le sexe incluent le "troisième sexe social" tel que les "berdaches" amérindiens, les Mahu de Polynésie, les Hijra de l'Inde, ou les vierges jurées d'Albanie. Ces personnes, par travestissement pour des raisons religieuses, économiques ou sociales, chevauchent les catégories binaires de sexe et exercent souvent des fonctions religieuses et de lien social [31](#page=31).
#### 3.3.4 La relativité des pratiques culturelles
Les différences culturelles se manifestent aussi dans les pratiques alimentaires et les tabous. Ce qui est considéré comme répugnant dans une culture peut être une norme dans une autre (ex: consommation d'insectes, d'escargots, de grenouilles, de fromage, de viande de chien ou de vache). La cynophagie, pratique consistant à consommer de la viande de chien, en est un exemple [31](#page=31).
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# Les courants théoriques en anthropologie : fonctionnalisme et culturalisme
Ce chapitre explore deux courants théoriques majeurs en anthropologie : le fonctionnalisme et le culturalisme, en détaillant leurs principes, leurs figures clés et leurs critiques.
### 4.1 Le fonctionnalisme
Le fonctionnalisme s'est développé en Grande-Bretagne entre les années 1930 et 1950. Cette approche théorique conçoit les sociétés humaines comme fonctionnant à l'instar d'un organisme vivant, où les différents éléments, tels que les institutions, interagissent les uns avec les autres. Les faits sociaux doivent être appréhendés dans leur globalité ordonnée, et la culture étudiée dans une perspective synchronique. Chaque élément culturel ou fait social possède une fonction spécifique et une tâche à accomplir au sein de l'ensemble. L'accent est mis sur la notion de système culturel, considéré comme un ensemble d'éléments en interaction mutuelle, analysés selon leur rôle et leur utilité [17](#page=17).
#### 4.1.1 Principaux précurseurs et concepts
* **Bronisław Malinowski (1884-1942)**: D'origine polonaise, il est considéré comme un précurseur du fonctionnalisme, notamment pour son travail de terrain. Pour Malinowski, la culture est un système de satisfaction des besoins fondamentaux tels que l'alimentation, la reproduction, la sécurité et la santé. Cette perspective, qui accorde de l'importance aux besoins individuels, est également appelée fonctionnalisme psychologique [17](#page=17).
* **La Kula**: Malinowski a étudié la Kula dans son ouvrage "Les Argonautes du Pacifique occidental". Il s'agit d'un vaste système d'échange intertribal de biens et de services, impliquant des services rituels et sexuels, qui se déplace dans le temps et l'espace. Le terme "kula" signifie "cercle" dans la langue des habitants des îles Trobriand. Ce système repose sur l'obligation de donner, recevoir et rendre [18](#page=18).
* **Alfred Radcliffe-Brown (1881-1955)**: Cet anthropologue britannique met l'accent sur l'observation empirique des fonctions des coutumes dans le présent. La structure sociale, selon lui, se compose de divers groupes sociaux tels que la famille, le clan, les moieties, les classes sociales, etc. [18](#page=18).
#### 4.1.2 Résumé et critiques du fonctionnalisme
En résumé, pour le fonctionnalisme, chaque élément culturel remplit une fonction comparable à celle d'un organe dans un corps vivant, répondant ainsi à un besoin. Les sociétés humaines sont vues comme des unités fonctionnelles où les différentes parties et institutions s'intègrent pour préserver l'ensemble [18](#page=18).
Les critiques formulées à l'encontre du fonctionnalisme sont nombreuses :
* Il a été critiqué pour son incapacité à expliquer le changement social et les conflits au sein des sociétés [18](#page=18).
* Sa référence à la stabilité et à l'analogie organique le rend idéologiquement conservateur [18](#page=18).
* Il attribue des états mentaux à des entités qui n'en possèdent pas [18](#page=18).
* Il ignore les inégalités telles que le genre, la race et la position sociale [18](#page=18).
### 4.2 Le culturalisme
Le culturalisme émerge aux États-Unis dans les années 1930, au sein de l'école de Chicago. Il considère la culture comme un système de comportements transmis par l'éducation et le consentement dans un milieu social donné. Le culturalisme cherche à comprendre comment la culture se manifeste chez les individus et oriente leurs comportements. Les culturalistes estiment que le façonnement de la personnalité, consciemment ou inconsciemment, par les institutions, les règles de vie, les pratiques habituelles et les valeurs dominantes permet de particulariser chaque culture [19](#page=19).
#### 4.2.1 Principaux anthropologues et concepts
* **Abraham Kardiner (1881-1981)**: Anthropologue, psychologue et psychiatre américain, il aborde les notions de personnalité de base et de personnalité statutaire. Il reconnaît que l'hérédité et les dispositions peuvent mener à une gamme de personnalités, de la normalité à la déviance due à une inadaptation aux normes. Les habitudes et les disciplines acquises dans l'enfance et l'adolescence sont décisives pour la constitution de l'équipement mental de l'individu [19](#page=19).
* **Ruth Benedict (1887-1948)**: Elle se concentre sur la culture et la personnalité au sens large, affirmant qu'une culture ou un groupe de personnes ne peut être étudié que dans son contexte. La culture est le socle de toute civilisation et influence nos valeurs, croyances, comportements et interactions avec le monde. Pour elle, le relativisme ethnique signifie que la morale d'une personne est entièrement façonnée par la culture, une action étant jugée normale si elle s'inscrit dans le comportement attendu d'une société donnée, sans référence à un code moral universel [19](#page=19).
* **Ralph Linton (1893-1953)**: Il analyse les processus de socialisation et considère l'homme comme un produit du milieu social, de la culture environnante et d'une construction progressive de soi. Linton affirme que toutes les sociétés possèdent une culture, et tous les êtres humains participent à des cultures. Le travail du chercheur doit commencer par l'examen des modes de vie caractéristiques des sociétés particulières [19](#page=19) [20](#page=20).
* **Margaret Mead (1901-1978)**: Figure emblématique du culturalisme, elle met l'accent sur la relativité des cultures et conteste l'idée d'un "éternel féminin" ou masculin. Selon elle, les rôles d'homme et de femme sont joués, et non intrinsèquement différents. Elle ne considère pas la socialisation comme un ensemble de pratiques distinctes, mais comme des interactions contextuelles entre parents et enfants, jeunes et adultes [20](#page=20).
* **Étude des Arapesh, Mundugumor et Tchambouli**: Mead a étudié les Arapesh, un peuple des montagnes vivant dans l'harmonie familiale, où les enfants sont élevés dans la douceur et la serviabilité. À l'opposé, les Mundugumor manifestent un individualisme brutal, une sexualité agressive et une hostilité entre membres d'un même sexe, le panier rudimentaire dans lequel sont portés les bébés reflétant ce monde hostile. Les Tchambouli sont également décrits comme individuels et agressifs. Ces exemples illustrent comment les pratiques d'éducation façonnent des personnalités distinctes [20](#page=20) [21](#page=21).
#### 4.2.2 Résumé et critiques du culturalisme
En résumé, le culturalisme est une position théorique qui accorde une place prépondérante à la culture dans l'explication des différences entre les groupes humains et les conduites sociales de leurs membres. La personnalité de base est définie comme une configuration psychologique particulière propre aux membres d'une société donnée, se manifestant par un style de vie sur lequel les individus construisent leurs variations singulières [21](#page=21).
Les principales critiques formulées à l'encontre du culturalisme incluent :
* La persistance d'un relativisme culturel qui peut mener à une appréhension superficielle des cultures [22](#page=22).
* La tendance à réduire les individus à de simples produits de leur culture, négligeant d'autres facteurs influençant les comportements humains comme la biologie, la psychologie individuelle ou l'économie [22](#page=22).
* Clifford Geertz a remis en question l'approche culturaliste en soulignant que les cultures ne sont pas homogènes et statiques, mais des systèmes complexes et évolutifs. Il a critiqué le culturalisme pour sa tendance à réduire les individus à de simples représentants de leur culture, ignorant ainsi leur diversité [22](#page=22).
Parmi les figures importantes liées à ces courants, bien que développant des concepts plus larges, on peut citer Marcel Mauss, père du concept de "fait social total" Émile Durkheim, père de la sociologie moderne, qui définit le fait social comme une entité sui generis et Claude Lévi-Strauss, figure fondatrice du structuralisme. Georges Balandier a également une conception de la société [22](#page=22).
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# Modifications et mutilations corporelles dans une perspective sociale et identitaire
Ce chapitre explore comment les modifications et mutilations corporelles sont comprises et pratiquées à travers le prisme des sociétés et de la construction identitaire [9](#page=9).
### 5.1 Le corps comme vecteur d'identité et de modification
Le corps humain est un support essentiel pour la lecture sociale et l'affirmation identitaire. Les modifications corporelles volontaires, telles que le tatouage, agissent comme des vecteurs d'identité, permettant à l'individu de s'affirmer et de modifier sa relation au monde environnant. La peau, en particulier, fonctionne souvent comme une frontière, manifestant l'identité de l'individu au sein de son environnement social [9](#page=9).
#### 5.1.1 Sociétés modernes et individualisme
Dans les sociétés modernes axées sur l'individualisme, la recherche d'identité est primordiale. Contrairement aux sociétés antérieures où l'identité était largement définie par la filiation, l'individualisme contemporain offre une plus grande liberté et propice aux changements corporels. L'objectif est souvent de dépasser les limites de son propre corps, que ce soit physiquement ou symboliquement, comme à travers le tatouage. Cette période valorise le corps et les modifications qui le transforment, comme le tatouage et le piercing, sont perçus comme une affirmation que le corps appartient à l'individu. Ces marques sur la peau contribuent à un sentiment d'unicité, reflétant un désir de singularisation et un détachement de l'héritage parental. Ce désir de modification corporelle est devenu une pratique courante, voire une norme, légitimant ces transformations. De plus, ces modifications peuvent ritualiser le passage de l'enfance à l'adolescence [10](#page=10) [9](#page=9).
#### 5.1.2 Scarifications : expression du mal-être et de l'identité
Les scarifications, décrites comme des "biffures" par D. Lebreton, sont révélatrices d'un mal-être, particulièrement chez les jeunes femmes en processus d'éducation et de socialisation. Le contexte social, marqué par la domination masculine, suggère que le corps des femmes est perçu comme plus fragile. Les scarifications permettent alors de refuser le corps comme simple ornement, le considérant comme une contrainte qui enfermerait l'identité. Leur objectif est de révéler l'identité, de réveiller le sujet par la douleur et la modification de l'entaille, et d'agir comme une régulation des tensions. En l'absence de limites imposées par la société, l'aspect physique et les modifications corporelles remplacent la symbolique. Ces scarifications sont identifiées comme des signes identitaires visant à aller de l'avant, et non un acte d'abandon de soi. Il est important d'envisager ces pratiques sociales dans leur dimension biographique [10](#page=10).
#### 5.1.3 Distinction entre signatures et biffures
D'après l'analyse, on distingue deux types de modifications corporelles: les "signatures", qui affirment l'identité et l'individu, et les "biffures" (scarifications), qui expriment un mal-être et une régulation des tensions [10](#page=10).
### 5.2 Souillure et corps
La notion de souillure, distincte du dégoût, est apprise et varie selon les sociétés. Mary Douglas considère la souillure comme un équivalent du désordre, s'appliquant à des éléments qui ne s'intègrent pas pleinement dans les catégories de l'ordre institué, représentant ainsi une anomalie de classement. La mise en ordre du monde passe par la catégorisation [8](#page=8).
#### 5.2.1 Excrétions corporelles et interdictions alimentaires
Les excrétions du corps, telles que la sueur, peuvent avoir des aspects positifs ou négatifs selon le contexte social et ce qui est considéré comme dégoûtant. Les substances qui sortent du corps sont généralement perçues comme répugnantes ou effrayantes, possédant un pouvoir contaminant. Il existe une échelle de souillure liée aux différentes substances corporelles, avec une distinction entre la partie inférieure et supérieure du corps. La souillure, si elle n'est pas trop importante et ne contamine pas les autres, peut être acceptée. La transpiration, par exemple, est souvent plus acceptée chez les hommes dans nos sociétés en raison de la notion de "virilité", montrant une différence de traitement entre hommes et femmes, où la transpiration féminine peut être perçue comme un manque d'hygiène. La transpiration rappelle la part animale de l'humain. Les interdictions alimentaires, comme celle du porc dans l'Islam, illustrent également cette notion, favorisant la consommation d'animaux qui ruminent et ont le sabot fendu [8](#page=8) [9](#page=9).
#### 5.2.2 Travailleurs de la morgue et égoutiers
Les travailleurs de la morgue et les égoutiers gèrent socialement ce qui est considéré comme "dégoûtant". Ces professions suscitent une gêne et un dégoût, créant une distance sociale entre eux et le reste de la population, renforçant la notion de "propres" et "sales". Les nouveaux travailleurs peuvent intérioriser ce dégoût, mais parviennent parfois à le surmonter, contrairement à une idée préconçue selon laquelle ces travailleurs aiment leur métier [9](#page=9).
#### 5.2.3 Formes de violations corporelles
Le texte identifie six grandes formes de violations corporelles :
* La position du corps par rapport aux territoires revendiqués, variant selon les positions sociales [9](#page=9).
* Le contact direct entraînant la souillure et les agressions sexuelles [9](#page=9).
* Le regard [9](#page=9).
* Le bruit [9](#page=9).
* La parole, incluant l'agression verbale [9](#page=9).
* Les objets de souillure (contamination directe, odeurs, chaleur corporelle, marques laissées par une personne précédente, restes de repas) [9](#page=9).
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Ce chapitre explore comment les modifications et mutilations corporelles sont comprises et vécues à travers le prisme des interactions sociales et de la construction de l'identité, en s'appuyant sur diverses approches anthropologiques et psychologiques.
### 5.1 L'anthropologie des émotions et du lien social
L'approche anthropologique, notamment celle développée par M. Mauss, met l'accent sur le caractère social de l'expression des émotions. Contrairement à une vision universaliste où les émotions seraient purement innées et universelles, cette perspective considère que les émotions sont intrinsèquement liées au contexte social et culturel [12](#page=12).
#### 5.1.1 Universalité versus construction sociale des émotions
Historiquement, une première approche considérait les émotions comme universelles, les classant en émotions élémentaires (colère, peur, joie) et secondaires (amour, nostalgie). L'accent était mis sur la manière dont les individus exprimaient et ressentaient ces émotions, avec des échelles d'intensité allant de l'intérêt à la terreur pour la peur, par exemple. Cette vision distinguait également les affectes (perceptions non conscientes et incontrôlables), les sentiments (prise de conscience des affectes) et les émotions (liées à la biographie individuelle) [12](#page=12).
Une seconde approche, plus contextuelle, soutient que si tous les humains ressentent des émotions, celles-ci ne sont pas purement naturelles mais culturellement façonnées. Les émotions et le contexte s'influencent mutuellement, et l'attention se porte davantage sur les interactions et les relations que sur les individus isolés [12](#page=12).
#### 5.1.2 Le répertoire émotionnel culturel
D. Lebreton souligne que les humains sont constamment en relation avec leur environnement et y réagissent émotionnellement. Il met en garde contre une opposition trop rapide entre raison et émotion, arguant que les réactions émotionnelles sont influencées par un répertoire propre à chaque culture. Ces répertoires dictent des règles sur l'expression appropriée des sentiments et des conduites en fonction du statut social, de l'âge, du sexe et du public [12](#page=12).
Ce répertoire n'est pas figé; les individus disposent d'une marge de liberté pour interagir avec lui. La retenue émotionnelle, par exemple, peut être adoptée pour ne pas décevoir l'entourage, comme lors d'un enterrement. Le groupe social évalue les états affectifs en fonction de leur conformité aux normes, et il existe des lieux socialement acceptés pour l'expression des émotions, tels que les cabinets de psychothérapies [12](#page=12).
> **Tip:** La reconnaissance du caractère culturel des émotions est cruciale pour comprendre les comportements interculturels et éviter les jugements hâtifs basés sur des normes émotionnelles propres à sa propre culture.
#### 5.1.3 L'ethnopsychanalyse et l'inconscient culturel
L'ethnopsychanalyse, représentée par G. Devereux, fusionne l'anthropologie (collectif) et la psychanalyse (individuel). Elle considère que le comportement humain n'est pas toujours rationnel en raison de processus inconscients. L'ethnopsychanalyse vise à comprendre comment les rapports sociaux et les comportements culturels sont assimilés, négociés et vécus par les individus [13](#page=13).
G. Devereux distingue deux types d'inconscient :
* **Inconscient idiosyncrasique**: lié aux traumatismes personnels que certains individus partagent (comme les orphelins) ou à des expériences trop singulières nécessitant un traitement social spécifique [13](#page=13).
* **Inconscient culturel**: partagé par les membres d'une même culture, il dicte ce qui doit être refoulé et se transmet culturellement et socialement de génération en génération. La culture peut ainsi permettre l'expression de certains fantasmes ou pulsions, souvent de manière marginale [13](#page=13).
Le stress est défini comme les forces nocives subies par les individus, et le traumatisme comme son effet. Les cultures fournissent des mécanismes de défense contre les effets du stress, dont l'efficacité varie selon les ressources culturelles accessibles à l'individu, ce qui peut expliquer la vulnérabilité de certains groupes comme les jeunes ou les migrants. L'ethnopsychiatrie, domaine connexe, s'intéresse particulièrement aux migrants. G. Devereux postule que tout le monde possède le même psychisme, façonné par le complexe d'Œdipe [13](#page=13).
#### 5.1.4 Typologie des désordres mentaux et culturels
Les névroses sont comprises dans leur cadre culturel, et leur compréhension passe par l'analyse de ce qu'elles transgressent. G. Devereux propose une typologie des désordres [14](#page=14):
* **Désordres sacrés/chamaniques**: liés à une approche du monde visible et invisible, où le chaman, bien que marginal, est culturellement encadré. Ces désordres, même culturellement contextualisés, peuvent être considérés comme des désordres mentaux [14](#page=14).
* **Désordres ethniques**: modèles d'inconduite qui permettent aux individus d'agir de manière antisocile tout en étant socialement approuvés [14](#page=14).
* **Désordres types**: mettant l'accent sur la structure sociale [14](#page=14).
* **Désordres idiosyncrasiques**: défenses improvisées qui s'intéressent aux trois autres types de désordres [14](#page=14).
La schizophrénie n'est pas spontanée et est influencée par des facteurs autres que le biologique. Les désordres mentaux ne sont pas uniquement dus à la société moderne mais s'observent partout. Leur prévalence future serait liée à la richesse d'une culture (nombre de traits culturels) et à la complexité de ses structures. Dans les sociétés traditionnelles, la connaissance globale de la culture est partagée, contrairement aux sociétés modernes où elle est fragmentée. La schizophrénie se caractérise par un détachement, une absence d'affectivité, un morcellement, un déréisme, un effacement de la frontière entre le réel et l'imaginaire, un infantilisme, une régression, et une dépersonnalisation [14](#page=14).
T. Nathan critique la psychanalyse comme méthode thérapeutique, la jugeant plus utile pour l'introspection. Il soutient que les problèmes ont des causes externes, qu'il s'agisse de virus en médecine ou d'entités surnaturelles en ethnopsychiatrie. L'efficacité symbolique et la croyance du patient sont essentielles. Des centres d'ethnopsychiatrie existent en France pour répondre aux mal-être spécifiques, notamment ceux des migrants [14](#page=14).
Critiques de l'ethnopsychiatrie :
* Elle peut être accusée de "culturalisme", réduisant les difficultés des patients à leur aspect culturel et négligeant d'autres problèmes sociaux comme ceux de classe ou le racisme [15](#page=15).
* Elle pourrait être complice d'un pouvoir majoritaire qui évite d'assumer la responsabilité des problèmes des migrants [15](#page=15).
> **Example:** L'étude de Fakoly sur les commerçants de métal montre une relation particulière avec le groupe, souvent perçue comme "chelou". La psychiatrie n'est pas toujours accueillante envers les migrants [15](#page=15).
### 5.2 Le diffusionisme et le relativisme culturel
Le diffusionisme, apparu au début du XXe siècle, étudie la distribution géographique des traits culturels et explique leur présence par des emprunts entre groupes humains. Ce courant met l'accent sur la circulation des traits culturels, leur vitesse, leurs obstacles et leurs conditions de diffusion [15](#page=15).
#### 5.2.1 Principaux théoriciens et concepts
Les figures clés incluent Elliott Smith, qui postule l'origine égyptienne de nombreuses civilisations (pyramides, dieux du soleil, etc.). Fanny Boas étudie les conditions d'emprunt et le développement interne des sociétés. Elle a développé le concept de relativisme culturel, affirmant la dignité de chaque culture et prônant le respect et la tolérance envers les cultures différentes [15](#page=15).
Roger Bastide observe la diffusion des idées, représentations, croyances, techniques et objets au gré des échanges culturels. Le processus de diffusion implique le transfert et la propagation d'éléments culturels (idées, technologies, pratiques sociales, croyances religieuses) d'une société à une autre [16](#page=16).
#### 5.2.2 Modes et facteurs de diffusion
La diffusion culturelle peut être directe (contacts et échanges) ou indirecte (commerce, migrations, conquêtes militaires, médias et technologies de communication). Les stimuli environnementaux jouent un rôle important, les sociétés adoptant des pratiques ou technologies en réponse à des pressions environnementales ou des besoins économiques (adaptation climatique, disponibilité des ressources) [16](#page=16).
* **Elliott Smith** résume: la présence d'un même élément culturel dans deux aires différentes suggère une diffusion d'une culture à l'autre [16](#page=16).
* **Fanny Boas** apprécie les cultures par leur distribution dans leur historicité et leurs dynamiques géographiques [16](#page=16).
* **Roger Bastide** considère que la culture se transforme par des emprunts culturels, y compris auprès des migrants [16](#page=16).
#### 5.2.3 Critiques du diffusionisme
* Difficulté à expliquer l'émergence de phénomènes culturels similaires chez des populations sans contact avéré [16](#page=16).
* Tendance à simplifier les interactions culturelles, les réduisant à des processus linéaires sans tenir compte des dynamiques locales complexes [16](#page=16).
* Accusation de vision eurocentrique, supposant une propagation des idées et technologies principalement depuis les civilisations occidentales. Parfois un manque de preuves empiriques [17](#page=17).
#### 5.2.4 Limites du relativisme culturel
Le relativisme culturel, bien qu'important pour le respect des autres cultures, a ses limites face aux droits de l'homme, à la liberté et à la justice. Il est nécessaire d'être prêt à critiquer les pratiques culturelles qui portent atteinte à ces principes [17](#page=17).
### 5.3 Le fonctionnalisme
Le fonctionnalisme, développé en Grande-Bretagne dans les années 1930-1950, conçoit les sociétés humaines comme des organismes vivants où les institutions interagissent les unes avec les autres. L'étude empirique des faits sociaux doit être appréhendée comme une totalité ordonnée [17](#page=17).
#### 5.3.1 Principes fondamentaux
La culture doit être étudiée dans une perspective synchronique, chaque fait social ayant une ou des fonctions. Un trait culturel ne peut être étudié isolément; c'est sa relation avec les autres éléments de l'ensemble culturel qui lui donne son sens. L'accent est mis sur la notion de système culturel, un ensemble d'éléments culturels considérés dans leurs rapports mutuels, leur rôle et leur utilité [17](#page=17).
#### 5.3.2 Principaux précurseurs
* **Bronislaw Malinowski** (1884-1942), précurseur du travail de terrain, définit la culture comme un système d'évaluation des besoins et un système qui satisfait des besoins tels que l'alimentation, la reproduction, la sécurité et la santé. Son approche est également connue sous le nom de fonctionnalisme psychologique. Il a étudié le système d'échange de la Kula dans les îles Trobriand [17](#page=17) [18](#page=18).
* **Alfred Radcliffe-Brown** (1881-1955) soutient que l'anthropologue doit étudier empiriquement les fonctions des coutumes observées dans le présent. La structure sociale se compose de divers groupes sociaux (famille, clan, classes sociales, etc.) [18](#page=18).
En résumé, dans une culture, chaque élément a une fonction comparable à celle d'un organe dans un corps vivant et répond à un besoin. Les sociétés humaines sont vues comme une unité fonctionnaliste où les parties et institutions s'intègrent pour préserver l'ensemble et l'organisation globale [18](#page=18).
#### 5.3.3 Critiques du fonctionnalisme
* Incapacité à rendre compte du changement social et des conflits au sein des sociétés [18](#page=18).
* La référence à la stabilité et à l'analogie organique peut le rendre idéologiquement conservateur [18](#page=18).
* Attribution d'états mentaux à des choses qui n'en ont pas [18](#page=18).
* Ignorance des inégalités sociales comme le genre, la race et la classe [18](#page=18).
### 5.4 Le culturalisme
Le culturalisme, né aux États-Unis dans les années 1930, considère la culture comme un système de comportements transmis par l'éducation et la socialisation dans un milieu donné. Il cherche à comprendre comment la culture est présente chez les individus et comment elle oriente leurs comportements [19](#page=19).
#### 5.4.1 Façonnement de la personnalité
Les culturalistes pensent que la personnalité est façonnée, consciemment ou inconsciemment, par les institutions, les règles de vie, les pratiques habituelles et les valeurs dominantes [19](#page=19).
#### 5.4.2 Principaux anthropologues et concepts
* **Abraham Kardiner** (1881-1981) aborde les notions de personnalité de base et de personnalité statutaire. Il reconnaît l'influence de l'hérédité et des dispositions sur la personnalité, allant de la normalité à la déviance. Les habitudes acquises dans l'enfance et l'adolescence sont décisives pour l'équipement mental de l'individu [19](#page=19).
* **Ruth Benedict** (1887-1948) considère qu'une culture ou un groupe ne peut être étudié que dans son contexte. Elle affirme que la culture constitue le socle de toute civilisation et influence nos valeurs, croyances, comportements et interactions. Elle promeut le relativisme ethnique: la morale est façonnée par la culture, et une action est normale si elle s'inscrit dans le comportement attendu par la société, sans code moral universel [19](#page=19).
* **Ralph Linton** (1893-1953) analyse les processus de socialisation, considérant l'homme comme un produit du milieu social, de la culture environnante et d'une construction progressive de soi. Toutes les sociétés ont une culture, et tous les êtres humains sont "cultivés" en ce sens qu'ils participent à des cultures. Le travail du chercheur doit commencer par l'examen des cultures et des modes de vie propres à chaque société [19](#page=19) [20](#page=20).
* **Margaret Mead** (1901-1978) considère la relativité des cultures comme fondamentale et remet en question l'idée d'un "éternel féminin". Pour elle, hommes et femmes jouent des rôles, mais ne sont pas intrinsèquement différents. Elle voit la socialisation non pas comme un ensemble de pratiques distinctes, mais comme des interactions contextuelles. Elle questionne les évidences sur la douceur féminine ou la rudesse masculine, et sur l'adolescence comme étape obligée [20](#page=20).
#### 5.4.3 Études de cas culturels
* **Chez les Arapesh**: les enfants sont élevés dans l'harmonie familiale, dans un environnement affectueux où le contact humain est constant. L'allaitement est un jeu affectif, et l'enfant apprend à faire confiance à tous les membres de la famille. Il grandit avec le sentiment de sécurité dépendant des autres et de la douceur des entourages. Les Arapesh sont élevés dans l'idée que "les hommes et les femmes doivent être foncièrement doux, sensibles, serviables, toujours prêts à se sacrifier pour ceux qui sont plus jeunes ou plus faibles" [20](#page=20) [21](#page=21).
* **Chez les Mundugumor**: leur attitude envers les enfants est conforme à leur individualisme brutal, leur sexualité agressive et l'hostilité qui règne. Le panier de bébé est rude et dur, obligeant le corps de l'enfant à se plier à des lignes rigides. L'enfant est initié à une vie où la tendresse est absente, ce qui conditionne sa personnalité. Les Mundugumor sont à l'extrême opposée des Arapesh, caractérisés par l'individualisme agressif, la violence et l'étrangeté des réactions. L'enfant naît dans un monde hostile où ses semblables seront des ennemis, et il lui faudra de la violence pour avancer [21](#page=21).
En résumé, le culturalisme accorde une place prépondérante à la culture dans l'explication des différences entre groupes humains et des conduites sociales. La personnalité de base est une configuration psychologique propre aux membres d'une société, manifestée par un style de vie sur lequel les individus brodent leurs variations singulières [21](#page=21).
#### 5.4.4 Critiques du culturalisme
* Persistance d'un relativisme culturel qui peut mener à une appréhension superficielle des cultures [22](#page=22).
* Tendance à réduire les individus à des produits de leur culture, négligeant d'autres facteurs influents comme la biologie, la psychologie individuelle ou l'économie [22](#page=22).
* **Clifford Geertz** remet en question l'approche culturaliste, soulignant que les cultures ne sont ni homogènes ni statiques, mais des systèmes complexes et évolutifs. Il critique la tendance à réduire les individus à de simples représentants de leur culture, négligeant leur diversité [22](#page=22).
### 5.5 Concepts clés de l'anthropologie sociale
* **Marcel Mauss** est connu pour sa théorie du don et du contre-don, étudiée notamment à travers le Potlatch chez les Indiens de la côte nord-américaine. Il cherche à appréhender l'être humain dans sa réalité concrète (physiologique, psychologique, sociologique) et développe le concept de "fait social total", intrinsèquement pluridimensionnel (économique, culturel, religieux, symbolique, juridique) [22](#page=22).
* **Émile Durkheim** (1858-1917), père de la sociologie moderne, considère les faits sociaux comme des choses. Il les définit comme des entités sui generis, non réductibles à la somme de leurs parties, permettant de dissocier l'individuel du collectif et le social du psychologique. Les faits sociaux sont extérieurs à l'individu et expliqués par les modifications du milieu social interne [22](#page=22).
* **Claude Lévi-Strauss** (1908-2009), père de l'anthropologie moderne française et figure du structuralisme, cherche à expliquer la société comme un tout cohérent, échappant à la conscience des individus. Ses travaux ont bouleversé le regard occidental sur les sociétés sans écriture [22](#page=22).
* **Georges Balandier** (1920-2016) fonde sa conception de la société sur une approche dynamique et évolutive [22](#page=22).
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Ce chapitre explore les variations du suicide, le totémisme et l'ethnopsychanalyse à travers des perspectives sociales et identitaires.
### 5.1 Les facteurs sociaux du suicide et l'intégration
Le suicide est analysé comme un fait social complexe résultant de l'interaction de multiples facteurs, incluant les aspects biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux. Durkheim soutient que le suicide est une tendance collective dépendant de l'état de la société, relevant ainsi de la sociologie [23](#page=23).
#### 5.1.1 Types de suicide selon Durkheim
Durkheim distingue plusieurs types de suicide basés sur les degrés d'intégration et de régulation sociale :
* **Le suicide égoïste**: Il survient lorsque l'individu est insuffisamment intégré aux groupes sociaux dont il fait partie, le taux de suicide variant inversement à ce degré d'intégration [23](#page=23).
* **Le suicide altruiste**: Caractérise les individus qui commettent leur acte apparemment pour soulager leurs proches, souvent observé chez les personnes âgées, malades, les femmes veuves ou les militaires [23](#page=23).
* **Le suicide anomique**: Il résulte d'une déréglementation de la société, c'est-à-dire d'une réduction du pouvoir de la société sur l'individu, comme l'illustrent les crises économiques et autres troubles de l'ordre collectif [23](#page=23).
* **Le suicide fataliste**: Découle d'un excès de réglementation, où l'avenir d'un individu est perçu comme inévitablement clos et ses passions réprimées par une discipline oppressive. Ceci peut concerner les couples trop jeunes ou les femmes mariées sans enfants [23](#page=23).
Ces types de suicide sont directement liés à deux facteurs principaux: le degré d'intégration des sociétés et leur niveau de régulation [24](#page=24).
* Un défaut d'intégration mène au suicide égoïste, tandis qu'un excès d'intégration conduit au suicide altruiste [24](#page=24).
* Un défaut de régulation engendre le suicide anomique, et un excès de régulation produit le suicide fataliste [24](#page=24).
Maurice Halbwachs a également contribué à cette analyse, affirmant que les variations du suicide s'expliquent le plus clairement par les transformations du genre de vie. L'articulation entre les causes sociales et les motifs individuels du suicide est également abordée à travers le concept de disqualification sociale, impliquant les liens de filiation (socialisation primaire), d'intégration (socialisation secondaire) et de citoyenneté. L'intégration familiale et la confession religieuse sont identifiées comme des facteurs protecteurs contre le suicide. Halbwachs a introduit dans la sociologie française les thèmes de la stratification sociale et des variations des genres de vie, dialoguant avec d'autres disciplines telles que le droit et l'économie [24](#page=24).
### 5.2 Totémisme et classifications sociales
Les classifications totémiques révèlent comment la pensée développe une logique fondamentale basée sur des oppositions binaires et des corrélations utilisant des termes qualitatifs, tels que les espèces végétariennes et animales. Le totémisme englobe ainsi le savoir détaillé d'une société et les relations symboliques qui permettent de relier les différents niveaux d'observation, d'interprétation et d'action. La classification du monde naturel et la classification sociale sont intimement liées [24](#page=24).
> **Example:** À Aurora, au Vanuatu, la mère, durant sa grossesse, imagine qu'un accident banal crée une relation privilégiée entre son enfant et une plante ou un animal, l'enfant devenant en quelque sorte un reflet de celui-ci. Cette identification s'accompagne d'interdictions alimentaires, notamment de consommer ce à quoi l'on est identifié. Aux îles Salomon, un individu révélait avant sa mort l'animal sous la forme duquel il se manifesterait après sa mort. Cette annonce entraînait l'interdiction pour ses descendants de manger ou tuer cet animal ancêtre [24](#page=24).
### 5.3 L'ethnopsychanalyse et la complémentarité disciplinaire
L'ethnopsychanalyse, fondée par des figures comme Georges Devereux, vise à étudier les liens entre la psychopathologie et l'environnement socioculturel [24](#page=24).
#### 5.3.1 Georges Devereux
Georges Devereux (1908-1985) était un psychanalyste et anthropologue franco-américain, considéré comme l'un des fondateurs de l'ethnopsychanalyse. Il défendait l'idée de l'universalité du complexe d'Œdipe, estimant que l'individu ne se construit pas uniquement par sa culture. Son approche est transculturelle, développant un courant "complémentariste" entre l'anthropologie et la psychanalyse [24](#page=24).
#### 5.3.2 Tobie Nathan
Tobie Nathan, psychologue et écrivain français, professeur émérite de psychologie à l'université Paris VIII, a étudié les dispositifs de soins mis en place par les guérisseurs en Afrique et au Moyen-Orient. Il propose une nouvelle vision de la psychothérapie et du patient, le considérant dans son univers familial et culturel. Ses recherches mettent en évidence les liens entre la psychopathologie, les pratiques cliniques et l'environnement socioculturel [24](#page=24).
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## Erreurs courantes à éviter
- Révisez tous les sujets en profondeur avant les examens
- Portez attention aux formules et définitions clés
- Pratiquez avec les exemples fournis dans chaque section
- Ne mémorisez pas sans comprendre les concepts sous-jacents
Glossary
| Term | Definition |
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| Terme | Définition |
| Déviance | Comportement qui s'écarte des normes sociales établies. Selon Becker, la motivation pour un comportement déviant peut résulter de la pratique même de ce comportement, qui s'apprend et se transmet par étapes. |
| Souillure | Concept introduit par Mary Douglas, représentant un équivalent du désordre. La souillure concerne des éléments qui ne s'intègrent pas clairement dans les catégories de l'ordre institué, agissant comme une anomalie de classement. |
| Modification corporelle | Pratiques visant à altérer l'apparence physique, telles que le tatouage ou les scarifications. Ces modifications peuvent servir de vecteurs d'identité, d'affirmation de soi, ou de régulation des tensions internes, et varient selon les contextes culturels et sociaux. |
| Personnalité de base | Hypothèse de l'école de "culture et personnalité" suggérant que la personnalité des individus est liée à leur culture. L'environnement social partagerait une même personnalité de base car ses membres sont issus de la même société. |
| Tabou | Terme d'origine polynésienne désignant ce qui est interdit. Selon Freud, les tabous sont des restrictions imposées par la société, souvent liées à des impulsions fondamentales comme la pulsion sexuelle, et se manifestent par des interdits qui masquent un désir persistant. |
| Ethnopsychanalyse | Discipline qui fait la rencontre entre l'anthropologie (collectif) et la psychanalyse (individuel). Elle étudie les désordres psychiques et culturels, en considérant que l'inconscient est influencé par des traumatismes personnels partagés et par l'inconscient culturel. |
| Inconscient culturel | Partie de l'inconscient partagée par tous les membres d'une même culture. Il indique quelles pulsions ou fantasmes doivent être refoulés et se transmet de génération en génération, influençant les comportements et les défenses contre le stress. |
| Personnalité statutaire | Concept de R. Linton décrivant le type de personnalité idéal vers lequel une société tend. Cette personnalité varie selon les sociétés et reflète les aspirations collectives de ses membres. |
| Émotions | Réactions humaines complexes influencées par le contexte social et culturel. Elles ne sont pas purement naturelles et universelles, mais constituent un répertoire propre à chaque culture, régi par des règles sociales et variant selon le statut, l'âge ou le sexe. |
| Affectes | Perceptions non conscientes de notre environnement, qui ne sont pas contrôlables. Ils représentent la manière dont nous sommes touchés par notre milieu, formant la base des sentiments et des émotions. |
| Diffusionnisme | Courant anthropologique du début du XXe siècle qui étudie la distribution géographique des traits culturels, expliquant leur présence par une succession d'emprunts entre groupes humains. Il s'intéresse à la circulation des éléments culturels, à sa vitesse, ses obstacles et ses conditions. |
| Relativisme culturel | Concept développé par Franz Boas, affirmant la dignité de chaque culture et prônant le respect et la tolérance envers les cultures différentes. Il suggère que les normes et valeurs d'une culture ne peuvent être jugées qu'à travers le prisme de cette même culture. |
| Fonctionnalisme | Courant anthropologique développé en Grande-Bretagne dans les années 1930-1950, qui considère les sociétés humaines comme des organismes vivants où les différentes institutions interagissent. Chaque fait social et chaque élément culturel est étudié pour sa fonction et son utilité au sein du système global. |
| Traits culturels | Éléments constitutifs d'une culture, tels que les idées, les croyances, les techniques, les objets ou les pratiques sociales, qui peuvent être étudiés dans leur distribution géographique et leur circulation entre les sociétés. |
| Kula | Vaste système d'échange de biens et de services intertribal étudié par Bronislaw Malinowski dans les îles Trobriand. Il implique une obligation de donner, de recevoir et de rendre, participant à la cohésion sociale et aux relations entre les groupes. |
| Structure sociale | Organisation d'une société composée de divers groupes sociaux tels que la famille, le clan, les classes sociales, etc. Pour le fonctionnalisme, l'étude de ces structures et de leurs fonctions est essentielle pour comprendre le fonctionnement de la société. |
| Changement social | Transformation des structures et des institutions d'une société au fil du temps. Le fonctionnalisme a été critiqué pour son incapacité à rendre compte de ces changements et des conflits qui peuvent en découler. |
| Systématisation culturelle | Concept du fonctionnalisme décrivant la culture comme un ensemble cohérent d'éléments interdépendants, où chaque partie remplit une fonction spécifique pour le maintien de l'ensemble. |
| Ethnopsychologie | Branche de la psychologie qui analyse les processus mentaux et les comportements au sein des groupes ethniques, en tenant compte des spécificités culturelles, sociales et historiques qui influencent les pratiques psychologiques. Elle vise à comprendre le fonctionnement de l'esprit humain en considérant la diversité culturelle et à déconstruire les stéréotypes. |
| Ethnopsychiatrie | Domaine de recherche qui étudie les facteurs ethniques sur l'origine et les manifestations des maladies mentales, partageant des objets et des méthodes avec la psychologie clinique et l'anthropologie. Elle fait appel aux représentations de l'humain et de sa souffrance propres au groupe culturel du patient. |
| Idiosyncrasie | Manière d'être particulière à chaque individu qui détermine ses réactions et comportements propres. En psychologie, elle désigne la disposition à ressentir une impression de façon singulière. En psychiatrie, elle peut se manifester par l'utilisation de mots inappropriés à la situation. |
| Acculturation | Ensemble des phénomènes résultant du contact continu et direct entre des groupes d'individus de cultures différentes, entraînant des changements dans les patrons culturels originaux de l'un ou des deux groupes. Elle peut être spontanée, planifiée ou forcée. |
| Ethnocentrisme | Tendance à considérer sa propre culture et son mode de vie comme supérieurs à ceux des autres. En psychologie, cela peut entraîner des biais dans la recherche, des perceptions faussées, des malentendus et la perpétuation de stéréotypes. |
| Globalisation | Phénomène récent d'intégration et d'interconnexion à l'échelle mondiale, affectant les sphères financière, économique et humaine. Il implique une tension entre le vécu local, les attaches territoriales et l'identité culturelle, et le sentiment d'appartenir à la globalité du monde. |
| Valence différentielle des sexes | Concept selon lequel, universellement, le masculin est considéré comme supérieur au féminin. Françoise Héritier suggère que cela résulte de la volonté des hommes de contrôler la reproduction, privant les femmes de la maîtrise de leur corps et de leur sexualité. |
| Genre | Construction sociale qui définit les rôles, comportements et identités associés à la masculinité et à la féminité, distincts du sexe biologique. Les anthropologues étudient comment les rapports entre sexe et genre varient selon les cultures. |
| Schizophrénie | Trouble mental caractérisé par une perte de contact avec la réalité (psychose), des hallucinations, de fausses croyances fermement tenues (délires), des troubles de la pensée et du comportement, une diminution des expressions émotionnelles, de la motivation et des fonctions mentales. |
| Culturalisme | Courant théorique anthropologique, émergeant aux États-Unis dans les années 1930, qui considère la culture comme un système de comportements transmis par l'éducation et le contexte social. Il cherche à comprendre comment la culture façonne la personnalité individuelle et oriente les comportements au sein d'un groupe donné. |
| Fait social total | Concept élaboré par Marcel Mauss, décrivant un phénomène qui est intrinsèquement pluridimensionnel, intégrant des aspects économiques, culturels, religieux, symboliques et juridiques, et qui ne peut être réduit à une seule de ses dimensions. |
| Synchronique | Méthode d'étude qui analyse un phénomène culturel ou social à un moment donné, sans prendre en compte son évolution historique, mettant l'accent sur les relations entre les éléments à cet instant précis. |
| Modifications corporelles | Ensemble des altérations volontaires ou involontaires apportées au corps, qui peuvent servir d'affirmation identitaire, de vecteur d'appartenance à un groupe ou de marqueur social. |
| Mutilations corporelles | Actes qui altèrent ou endommagent le corps, souvent dans un contexte culturel ou rituel, pouvant exprimer un mal-être, une résistance ou une quête d'identité. |
| Identité | Construction sociale et personnelle qui définit qui est un individu, influencée par les modifications corporelles, les appartenances culturelles et les expériences vécues. |
| Tatouage | Modification corporelle volontaire consistant à introduire des pigments sous la peau, souvent utilisé comme une affirmation de soi, une expression d'identité ou un rite de passage. |
| Scarifications (Biffures) | Marques laissées sur la peau par incision, souvent associées à un mal-être, une expression de douleur ou une tentative de révéler une identité enfouie, particulièrement chez les jeunes femmes. |
| Signature (Modification corporelle) | Terme utilisé pour désigner les modifications corporelles qui servent à marquer l'individu, à le singulariser et à affirmer son appartenance ou son individualité. |
| Biffure (Modification corporelle) | Terme utilisé pour désigner les modifications corporelles, telles que les scarifications, qui expriment un mal-être ou une tentative de dépasser une identité perçue comme contraignante. |
| Corps comme frontière | Concept selon lequel la peau agit comme une limite visible de l'individu, marquant son identité et son rapport au monde social environnant. |
| Rite de passage | Événement ou cérémonie marquant la transition d'un individu d'un état social à un autre, où les modifications corporelles peuvent jouer un rôle symbolique important. |
| Personnalité culturelle | Ensemble des traits psychologiques et comportementaux partagés par les membres d'une même culture, façonnés par les normes, les valeurs et les expériences collectives. |